Tous les rites maçonniques, à divers degrés, ont ce que nous appelons des "maximes".
Mais qu'est-ce qu'une maxime ?
Selon le dictionnaire Larousse une Maxime (du latin maxima sententia, sentence la plus générale) est une formule brève énonçant une règle de morale ou de conduite ou une réflexion d’ordre général (par exemple : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fît).
De nombreuses maximes jalonnent les rituels maçonniques, à tous les degrés, bien que certains en comprennent plus que d’autres.
Nous avons aujourd’hui choisi d’étudier une maxime particulière qui apparait à un degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté. Cette maxime est :
« Il est parfois plus facile de faire son Devoir que de le connaître »
Nous précisons tout de suite que nous nous ferons, dans cet article, essentiellement un travail d’historien.
Car le thème du Devoir est central à ce degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté et bien des réponses sont apportées dans le rituel lui-même pour savoir ce qu’est le Devoir en général et ce qu’est le Devoir en particulier pour le franc-maçon (et la franc-maçonne). J’invite donc les sœurs et les frères à ouvrir leur rituel, à le lire et à le méditer pour en tirer – personnellement – la substantifique moelle.
C’est le Très puissant Souverain Grand Commandeur René Raymond (1877-1958, qui dirigea le SCDF durant 38 ans) – lui-même fils d’un ancien Grand-Commandeur, Jean-Marie Raymond (1845-1914) qui a créé des loges de Perfection (ou « Parvis »). Auparavant, les maîtres maçons qui entraient dans la Juridiction du Suprême Conseil de France étaient directement reçus au 18ème degré dans un Chapitre (ils recevaient en une seule cérémonie tous les grades, du 4ème au 18ème).
En 1921, ce sont Albert Lantoine (1869-1949) et Oswald Wirth (1860-1943) qui sont chargés de rédiger les rituels de ces Loges de Perfection, qui vont du 4ème degré au 14ème degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, degrés qu’on ne pratiquait pas alors.
Les deux hommes étaient les véritables rénovateurs de la pensée maçonnique traditionnelle, philosophique, spirituelle et ésotérique, dans une Franc-Maçonnerie (y compris la Franc-Maçonnerie écossaise) alors largement traversée et principalement occupée par des considérations sociales et politiques.
Oswald Wirth avec des livres comme « La Franc-Maçonnerie rendue intelligible à ses adeptes » en trois tomes (Apprenti, Compagnon, Maître), et Albert Lantoine avec la création de la loge Le Portique en 1910 et une belle œuvre poétique. Ils publieront tous les deux d’autres ouvrages majeurs après 1921, comme les trois tomes de l’ « Histoire de la Franc-Maçonnerie » de Lantoine ou sa « Lettre au Souverain Pontife ».
Albert Lantoine et Oswald Wirth sont cooptés ensemble quelques années plus tard comme membres actifs du Suprême Conseil de France, en 1927.
C’est certainement Oswald Wirth (ancien secrétaire particulier de Stanislas de Guaita, membre de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix et de l’Ordre Martiniste notamment…) qui eut le rôle le plus important dans la conception et l’écriture des rituels des loges de Perfection.
(Il faut noter qu'en 1921 également, sous la Grande Maîtrise (1919-1922) de Bernard Wellhoff (1855 – 1932), le Convent de la Grande Loge de France désigne une Commission de la Réforme du Rituel composée de seize membres parmi lesquels Albert Lantoine, et Oswald Wirth - toujours eux - mais aussi Édouard Gamas ou Ubaldo Triaca sont les plus connus. Le texte des rituels à « réformer » est envoyé aux Loges pour étude, mais suscite peu d'enthousiasme et peu de réponses. déclenche peu d’enthousiasme et, en conséquence, peu de réponses. Mais cela permettra à Lantoine de fulminer contre les "Tenues Blanches" surtout suivies d'un Bal ou de fêtes !)
Mais Albert Lantoine su mettre sa patte à l'écriture - essentiellement wirthienne - des rituels des loges de Perfection du Suprême Conseil. Il s’évertua à faire coller ces rituels avec les problématiques du temps, afin qu’ils soient mieux compris et mieux vécus par les frères.
Et c’est bien là que cela nous intéresse pour la maxime du jour.
Car si nous lisons les rituels anciens (que vous pouvez – par exemple – trouver dans le livre « Le Rite de Perfection » de Claude Guérillot aux éditions Trédaniel ou dans certains numéros de la revue « Ordo Ab Chao » du Suprême Conseil de France) nous nous apercevons que dans ce degré du Rite Ecossais Ancien et Accepté, il n’est nullement question du Devoir et que les maximes sont absentes. Etonnement.
Cette maxime que je rappelle, « Il est parfois plus facile de faire son Devoir que de le connaître », est donc introduite dans le Rite Ecossais Ancien et Accepté par Wirth et Lantoine en 1921.
Pourquoi ?
Nous connaissons des maximes proches comme :
- « Il est plus commode de faire son devoir que de le connaître » (Louis de Bonald, 1754 - 1840).
- « Le plus difficile n'est pas de faire son devoir mais de savoir où il se trouve » (Jean de la Varende, 1887 - 1959)
Mais doutons qu’un monarchiste ultra catholique et adversaire de la Révolution et un écrivain réactionnaire aient pu être les sources de Lantoine et Wirth.
Lantoine s’est servi d’une phrase du degré précédent où l’on parle de la mort de Maître Hiram - « Ainsi périt l’homme juste, fidèle au Devoir jusqu’à la mort » - pour faire du Devoir le thème central du degré suivant qui nous intéresse ici.
Et pour incarner cette notion de Devoir il fallait parler à l’expérience des frères du temps.
Car chacun sait ce que c’est que de faire son Devoir : C’est de faire ce qu’on a à faire. Mais c’est un peu court.
Et puis surtout c’est assez simple de faire ce qu’on a à faire.
Mais parfois c’est beaucoup plus compliqué.
N’oublions pas que nous sommes en 1921 lorsque Wirth et Lantoine écrivent les rituels. Un peu plus de deux ans après l'Armistice du 11 novembre 1918. Et à qui vont-ils s’adresser ? A tous ceux qui ont connu les combats meurtriers de la Première Guerre Mondiale et qui en sont revenus traumatisés à jamais.
Le nombre de victimes de la Première Guerre mondiale (militaires et civiles) s'élève à plus de 40 millions, 20 millions de morts et 21 millions de blessés. Ce nombre inclut 9,7 millions de morts pour les militaires et près de 10 millions pour les civils.
Les Alliés de la Première Guerre mondiale perdent plus de 5 millions de soldats et les Empires centraux près de 4 millions.
La Bataille de Verdun du 21 février au 18 décembre 1916 fait plus de 700 000 victimes en 9 mois dont plus de 300 000 morts.
La Bataille du Chemins des Dames du 16 avril au 24 octobre 1917, dite aussi « Offensive Nivelle » fait plus de 350 000 pertes, morts ou blessés.
La Première Guerre Mondiale est un conflit monstrueux. Un véritable carnage.
Et que dire des mutins de 1917 et des « fusillés pour l’exemple » ?
C’est pourquoi ceux qui survivent, nos « Poilus » l’appellent la « Der des Ders », ils ne veulent plus d’autres guerre !
S’ils étaient partis en guerre le 3 août 1914 « la fleur au fusil », certains « d’être à la maison pour Noël » et certains de leur Devoir à accomplir – ramener l’Alsace-Lorraine à la France et venger la défaite de Sedan – ceux qui sont revenus après le 11 novembre 1918 sont certes persuadés d’avoir accompli leur Devoir, mais l’ont-ils connu ?
Leur Devoir ils l’ont fait en survivant dans les tranchées, en évitant l’invasion de la Patrie, en obéissant aux ordres meurtriers et imbéciles de chefs militaires arrogants, incompétents et qui ont sur leurs mains le sang de leurs soldats.
Quel sens donner aux offensives tellement meurtrières et tellement inutiles de Verdun et des offensives Nivelle du Chemin des Dames ? Quel sens donner à ces centaines de milliers de vies fauchées inutilement dans la fleur de l’âge ?
Oui, il est parfois plus facile de faire son Devoir que de le connaître… Et c’est encore à méditer pour les hommes d’aujourd’hui…
Et cette maxime incorporée au rituel par Lantoine et Wirth en 1921 résonnait particulièrement dans les âmes et les cœurs meurtris des anciens Poilus de 14-18…
Théodore Vézelay
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Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
« Jurez-vous, de plus, d’obéir fidèlement aux chefs de notre Ordre, en ce qu’ils vous commanderont de conforme et non contraire à nos lois ? » (Extrait du Serment prêté par chaque franc-maçon lors de son initiation).
Jean-Laurent Turbet
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