Roger Bruni, conseiller national de la fédération française de l’Ordre Mixte International Le DROIT HUMAIN, vient de publier cette tribune sur la fraternité et la laïcité. Je vous en propose la lecture.
Tribune libre d'un Conseiller National du Droit Humain :
La Fraternité, mot essentiel et parfois galvaudé, peut-elle être un ferment du progrès de l’humanité ? Et en quoi la Laïcité est-elle un des constituants fondateurs d’une Fraternité du XXI° siècle ?
Le mot Fraternité appartient à l’inconscient collectif. Il est de fait le rappel de l’unicité de l’espèce animale humaine, issue d’une souche commune, dont le mythe d’Adam et Eve est, dans les espaces de culture monothéiste, l’image la plus populaire. Ce lien familial entre les hommes, ce lien de sang en quelque sorte, a préexisté à toute autre création mentale ou intellectuelle, parce qu’issu de la nature et de l’instinct de procréation. La nécessité d’adapter le groupe familial primitif aux contraintes de son environnement a dispersé les clans dont sont issus tous les rameaux humains, et les conditions géographiques régionales ont conduit à la conception de règles de survie, à la création de cultures aux manifestations différentes. Mais la notion de fraternité s’est conservée partout, soit par une métaphore religieuse (Abraham), soit en accordant à la généalogie une importance primordiale comme dans l’aristocratie ou dans les sociétés traditionnelles, et est même illustrée dans des expressions populaires. La fraternité c’est donc le rappel que l’individu, même le plus retiré de la vie sociale, appartient à un ensemble de maillons dont il est issu et dont il est membre, ce qui implique des devoirs. Il peut lui être demandé de porter assistance, de défendre, de contribuer.
Dans la triade républicaine française, par rapport à la liberté et l’égalité, la fraternité s’ajoute, se différencie et modère. Avec la déclaration d’indépendance des USA, puis celle des droits de l’homme et du citoyen, Liberté et Egalité deviennent les fondements de l’individu, et presque de l’individualisme, en ce sens qu’elles se déclinent d’abord par des droits personnels. L’exercice de ces droits implique-t-il des devoirs ? C’est le rôle de la loi d’encadrer les droits, de les limiter, de préciser leur domaine et conduite d’application, de fixer les devoirs. Le seul respect de la loi crée-t-il société ? Les inégalités sociales favorisent-elles l’exercice démocratique ? Les révolutionnaires de 1789 et de 1793 pensaient que seule la Vertu pouvait permettre de surmonter ces obstacles, parce qu’elle travaille à l’intérêt commun sans cesse menacé par les égoïsmes particuliers. En ajoutant Fraternité à la devise républicaine, ceux de 1848 mirent en valeur le lien entre les personnes, rappelant que la dignité humaine exige non seulement le respect et la reconnaissance de l’individualité de chacun, mais aussi la prise en compte de ses besoins. Rappelant la nécessité du lien social, de l’encadrement des égoïsmes et des droits personnels imprescriptibles, la Fraternité établit la responsabilité dans la solidarité. Elle est le symbole de la paix sociale, une paix semblable à celle qui réunit la famille autour du repas.
Cependant, la Fraternité ne peut se définir comme une affection, un sentiment, comme la camaraderie, l’amitié ou l’amour qui naissent de la fréquentation d’autrui dans des circonstances particulières. Ce n’est pas un dogme, c’est un principe politique qui demande à chacun de reconnaître l’autre comme son semblable et comme différent afin de coexister dans la construction sociale commune, une entreprise qui se définit comme un processus en mouvement perpétuel dans la recherche d’un équilibre harmonieux, donc idéal. Comme toute construction mouvante, le risque est le déséquilibre, le retour en arrière, la chute.
La société française, fortement influencée par la franc maçonnerie, a, à la fin du XIX° et au début du XX° siècle, défini un principe politique nouveau, directement issu du concept politique de la fraternité : la laïcité. En effet, un danger existait : celui de voir uniformiser la pensée. Puisque nous sommes tous frères, libres et égaux, ne devrions-nous pas avoir les mêmes idées, les mêmes conceptions, les mêmes usages, les mêmes croyances, les mêmes dogmes ? Et puisque la démocratie fonctionne sur la loi du plus grand nombre, pourquoi ne pas imposer à toutes les consciences la croyance du plus grand nombre, d’imposer une fraternité sans liberté ni égalité ? Sur le fond, le débat philosophique portait donc sur la liberté individuelle de choix ou de refus entre un dogme religieux et un dogme athéiste, les deux étant potentiellement dangereux dès lors qu’ils pouvaient constituer un socle politique et social. En légiférant sur la séparation des églises et de l’Etat, en permettant la libération des consciences individuelles des dogmes, la République se définissait en quelque sorte comme agnostique, et mettait en place un principe de vie commune fondée sur la séparation de la vie publique et de la vie privée, sur la coexistence de différences fondamentales.
Ainsi, sans porter atteinte à aucun fondement religieux ni à aucune pratique des rites, sans favoriser en quoique ce soit la négation de tout être divin et la croyance en un univers purement matérialiste, la laïcité préserve la fraternité en ce qu’elle est fondée sur la reconnaissance et le respect de l’autre. Complémentaires, Laïcité et Fraternité contribuent au développement du lien social, et par la préservation des libertés essentielles à celui d’une réelle égalité des citoyens quels que soient leur sexe, leur pratique cultuelle, leur pensée religieuse ou philosophique, établissent une voie possible de culture sociale du dialogue et de l’échange.
Mais ce possible n’est pas irrévocable. En effet, rien n’est jamais complètement établi, et en période de crise économique propice au repli sur soi, où la souffrance conduit à perdre espoir en l’avenir et à se tourner vers les fallacieuses images du passé, il est fréquent de voir se réveiller des idéologies fondamentalistes et totalitaires qui prétendent construire par la servitude sur Terre un bonheur dans l’au-delà ou dans une future génération dont personne ne peut prédire l’avènement. Se soumettre, admettre, se démettre, n’exister qu’en fonction du groupe, se taire et applaudir au signal, porter ses chaînes sans murmurer, surveiller sournoisement l’autre, respecter aveuglément la consigne, participer aux rituels étatiques et surtout ne pas penser, ne pas jauger, ne pas juger, tout ce qui s’imposait au monde du passé, d’un passé encore très proche, est-ce cela qui nous attend ? Est-ce à cela que nous conduisent les mouvements d’opinions politiques extrémistes, les appels à la guerre religieuse, avec en toile de fond une remise en cause radicale de la libération de la femme et des progrès dans le processus conduisant à l’égalité des êtres humains partout dans la société, dans le monde ?
La Fraternité se réfère à l’exigence d’humanité en raison de l’unicité d’origine et de l’unicité de devenir, et nous impose des devoirs : celui de garder lumineuse la flamme de l’esprit humain, celui de protéger et développer un pacte social fondé sur la solidarité, l’entraide, la reconnaissance de la richesse de l’altérité, l’alternance des opinions politiques, celui de travailler à constituer une société d’être humains véritablement libres et égaux se conduisant en citoyens du monde actifs, solidaires et responsables. La laïcité est un des outils essentiels de la fraternité en ce qu’elle garantit que toute opinion est soumise à la critique d’autrui, qu’aucune vérité établie et acceptée comme dogme ne peut être imposée à quiconque, et qu’en cela elle autorise la liberté de dialogue.
Liberté, Egalité, Fraternité ont mis à bas l’ordre social de l’ancien régime et avec l’ajout de la laïcité ont établi les conditions de notre vie commune. Mais aujourd’hui, ne prendre en compte qu’une société n’a plus grand sens. La République française n’est qu’un petit groupe humain vivant sur un espace réduit appelé France. Les défis sont mondiaux et s’appellent équilibre écologique, équilibre social, équilibre alimentaire, équilibre sanitaire, etc… Nous sommes à la fin du Second Moyen Age, pris dans les lacets de notre existence triviale et les yeux ouverts sur l’insondable Cosmos, avec la nécessité de refonder une nouvelle fois l’Humanisme, comme aux temps troublés de la Renaissance.
La vieille Fraternité est, elle aussi, mise au défi : celui de réaliser sur Terre et pour tous les humains les conditions du bonheur et de la joie. Elle se confronte à tous les égoïsmes et intérêts particuliers, à toutes les croyances multiséculaires qui ont modelé des cultures différentes, mais aussi à la tentation de l’uniformité, à la culture consumériste mondialisée, au dogme de l’argent-roi aussi puissant aujourd’hui que les dogmes religieux, aux fanatismes politiques et religieux.
Si la laïcité est un outil important pour dégager un socle commun d’entente et de respect mutuel dans une société, il est évident qu’à l’heure actuelle l’idée même d’une séparation des Eglises et de l’Etat, de la distinction entre espace public et espace privé, est très loin d’être partagée en dehors des frontières françaises. Si le Conseil de l’Europe s’en est saisi, elle est « d’intensité variable » selon les Etats de l’Union Européenne, très mal comprise aux USA, jugée attentatoire à la volonté divine dans les pays d’orthodoxie religieuse, et considérée inutile dans les pays de dogme athéiste et matérialiste.
Le travail engagé pour développer la pratique de la laïcité dans tous les Etats dits démocratiques (mais existe-t-il des Etats démocratiques en dehors de l’Anarchie dont le fondement est la conviction que la fraternité peut seule guider les actions et les pensées humaines ?) est indispensable et de longue haleine. Il conduit à se rapprocher de ces truismes qu’aucune société ne semble admettre : la Terre est le village de l’Humanité, tout dépend de chacun et chacun dépend du tout, rien n’est à soi s’il n’est le fruit de son travail, rien ne peut être donné en surplus à l’un s’il manque une part de ce rien à un autre, les dieux ont autant de visages qu’il y a d’êtres humains, et la liste des lapalissades est longue… Mais construire le dialogue qui établira les conditions de la proclamation universelle de la fraternité, voilà la première des urgences. Et pour cela, Fraternité, Laïcité sont toujours des combats d’avant-garde.
C’est sans aucun doute, il appartient à la Franc maçonnerie de générer les idées et concepts qui seront les outils de la réalisation d’une Humanité constituée de sociétés libres et fraternelles.
Notre Ordre a une responsabilité particulière dans la réalisation de cet idéal.
Parce qu’il est fondé sur la mixité et la reconnaissance de l’égalité de tous les êtres humains, il reste révolutionnaire et oppose un démenti formel à tout dogme et croyance impliquant l’abaissement et la servitude, notamment de la femme.
Parce qu’il est international, il est multiculturel et travaille à l’édification d’une société plurielle fondée sur les valeurs humanistes, respectueuse des identités, utilisant la raison comme outil de libération, ne confondant pas égalité et uniformité.
Parce qu’il est maçonnique et donc humaniste.
Parce que ses membres se disent Frères et Sœurs, il est conscient de l’unicité de l’Humanité et de la multiplicité des individus, du rôle essentiel de la solidarité et de l’entraide, de la précarité de toute œuvre humaine, de la nécessité d’un haut idéal.
Pour tout cela, nos loges de France et de cinquante autres pays travaillent et s’attachent à construire solidairement la pensée laïque, libre et fraternelle, qui permettra aux Hommes et aux Femmes de demain de construire le bonheur de vivre ensemble.
Roger BRUNI, Conseiller National
Vauvert, le 10 janvier 2013
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° Pour aller plus loin :
° Le site de la fédération française du Droit Humain.
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