Dans le cadre de ses conférences "Enjeux et Perspectives" , la Grande Loge de France reçoit M. Emmanuel FABER, Vice-président du Groupe Danone.
M. FABER traitera du sujet suivant: "Chemins de traverse dans la mondialisation".
Les conférences "Enjeux et Perspectives" permettent d'entendre des personnalités extérieures à la Grande Loge de France qui parlent de sujets contemporains.
Emmanuel Faber est vice-président du groupe agroalimentaire Danone, qui emploie plus de 80 000 personnes dans le monde et représente un CA de 15 milliards d’euros. Avec l’appui du président Franck RIBOUD, il a été à l’origine d’innovations sociétales majeures allant dans le sens de la qualité de vie des salariés, de l’écologie, de l’ « empreinte sociale » des implantations du groupe, etc.
° La Conférence :
"Chemins de traverse dans la mondialisation".
De M. Emmanuel FABER, vice président de Danone
Mercredi 9 mai 2012 à 20 heures
au Grand Temple de la Grande Loge de France
8, rue Puteaux - 75017 Paris (Métro Rome).
° Pour aller plus loin :
° Le site de la Grande Loge de France.
° Le livre d'Emmanuel Faber :
Emmanuel FABER est l'auteur de "Chemins de Traverses, vivre l'économie autrement", publié chez Albin Michel.
Comment le n°2 de la 3e multinationale sur le marché agroalimentaire mondial peut-il se retrouver au Forum social mondial pendant que son président est à Davos ? Comment ce spécialiste de la finance internationale peut-il être l’ami de Pierre Rabhi, citer Christian Bobin et Christiane Singer aux côtés de Bergson et Kant ? Comment en est-il venu à monter avec le Prix Nobel de la Paix, Mohammed Yunus, une usine modèle au Bengladesh produisant un yaourt hypervitaminé destiné à la nutrition des enfants, vendu par des centaines de femmes pauvres devenues auto-entrepreneurs, et financé par un organisme spécial, danone.communties, prototype d’un nouveau genre de fonds d’investissement éthique ?
Emmanuel Faber fait partie de cette nouvelle élite surdouée qui a préféré donner du sens à sa vie de grand décideur en subvertissant le système de l’intérieur, un peu à la manière d’un Martin Hirsch – avec lequel il a collaboré sur plusieurs projets au nom de Danone. Mais lui est inspiré par une vision éthique et poétique tout à fait originale, qui essaie d’incarner une authentique spiritualité au cœur même du capitalisme mondial, pour en inverser les règles….et les effets. Gageure que nous présente, dans une écriture sensible et élégante, ce livre qui ne se veut ni essai militant, ni traité, mais témoignage de vie.
Voici ce qu'en disait le quotidien La Croix dans un article intitulé "Emmanuel Faber, un manager sur une ligne de crête" :
" Au siège social de Danone, boulevard Haussmann à Paris, Emmanuel Faber reçoit ses visiteurs dans une salle de réunion et non dans son bureau. Car il n’en dispose pas pour lui seul, il le partage avec l’autre vice-président du groupe, Bernard Hours, et leurs assistantes. Le décloisonnement des espaces de travail à la tête de l’entreprise est un trait distinctif de cette multinationale de l’agroalimentaire, tout comme la souplesse de son code vestimentaire. Cet après-midi ensoleillé d’octobre, Emmanuel Faber porte une veste classique et une chemise blanche mais avec un jean et sans cravate.
Cet homme de 47 ans au regard bleu ardoise n’aime guère parler de sa vie privée, en tout cas pas de sa famille et de ses proches : « Leur vie et nos relations ne m’appartiennent pas. » On saura seulement qu’il est marié, père de trois enfants et qu’il a passé une partie de son enfance dans les Hautes-Alpes, à Saint-Bonnet-en-Champsaur. En revanche, il accepte de s’exposer personnellement sur ce qui touche à ses convictions. À la fois comme individu qui refuse « la loi du plus fort » et comme dirigeant de multinationale. Deux dimensions a priori antagonistes, entre lesquelles il cherche l’unité. Il en témoigne dans un livre étonnant, Chemins de traverse , tout juste paru (1). Un livre écrit tôt le matin pendant l’hiver, avant le jour. Emmanuel Faber cite un verset du psaume 18 pour expliquer son état d’esprit pendant qu’il rédigeait : « Le jour au jour en livre le récit et la nuit à la nuit en donne connaissance. »
Ce « jeu entre le jour et la nuit », ce chemin entre l’ombre et la lumière ont commencé il y a un quart de siècle. En 1986, le jeune homme termine HEC. Des études commerciales qu’il a choisies, dit-il, « par hasard ». « En France, quand on est bon au lycée, on fait une classe préparatoire. J’ai choisi une prépa commerciale parce que les matières étaient plus éclectiques. » De sa scolarité à HEC, il garde le souvenir d’une déception : « On nous mettait entre les mains des outils puissants mais on ne se posait pas la question du pourquoi » , dit celui qui se passionnait déjà pour la réflexion philosophique.
Maîtriser l’outil et non le subir
Emmanuel Faber entre alors dans la finance. « Elle était en train d’envahir absolument tout. Je n’envisageais pas d’être du mauvais côté du manche. Je voulais maîtriser l’outil et non le subir. » Selon ses propres termes, il choisit « l’infiltration et le risque de la compromission » . Travaillant dans l’univers des banques d’affaires, il y va à fond. À cette époque, il s’indigne contre la mode de «l’entreprise citoyenne» qu’il dénonce comme « une OPA sur la morale » dans un livre intitulé Main basse sur la cit é : « Pour moi, il n’y avait pas d’autre solution que de laisser la sphère économique suivre sa propre logique tout en limitant son emprise pour préserver la société civile. » Cependant, cette césure l’affecte : « Je me sentais très loin d’être réconcilié avec moi-même. Je passais une grande partie de ma journée à faire des choses qui, pour moi, n’avaient pas beaucoup de sens. Combien de temps allais-je continuer à jouer dans le système ? »
La réconciliation commencera au milieu des années 1990. La découverte de la pensée phénoménologique, notamment grâce à un essai de George Steiner sur Martin Heidegger, lui fait entrevoir la possibilité d’un « passage » vers « l’humanité du réel » en quittant « la prison rassurante de la rationalité toute puissante » . Il parviendra progressivement à « faire une place à cette échappée » dans sa vie professionnelle en rejoignant Danone. Ironie de l’histoire, c’est un peu pour sa « part d’ombre » , c’est-à-dire sa dureté en affaires, en tout cas sa réputation de redoutable négociateur, que le groupe fait appel à lui en 1997 comme directeur financier. Mais, en même temps, il pressent que, dans cette maison un peu différente des autres, il va pouvoir « essayer des trucs » , expérimenter d’autres « réglages » du fonctionnement des entreprises.
Dès 1972, dans un discours resté célèbre, le bâtisseur du groupe Danone, Antoine Riboud, affirmait qu’il n’y a pas de richesse économique sans développement humain. Fidèles à cet héritage, son fils Franck (qui lui a succédé comme PDG), Emmanuel Faber et les équipes de Danone vont mettre au point plusieurs outils, développer des formes différentes d’activité économique. La plus célèbre est la filiale commune créée au Bangladesh avec la Grameen Bank de Muhammad Yunus, l’inventeur du microcrédit. Cette usine prototype produit des yaourts hautement nutritifs à très bas prix. Le lait est fourni par des éleveurs locaux, les produits sont commercialisés par des colporteuses travaillant à leur compte.
« Yunus nous a donné confiance »
Emmanuel Faber le dit clairement : la rencontre avec le prix Nobel de la paix 2006 a été décisive : « Yunus nous a donné confiance. Il a été le déclic qui nous a fait dire : on va dans cette direction. » D’autres projets de cette nature, relevant de l’entrepreneuriat social, ont été lancés depuis, en partie financés par une sicav solidaire dénommée « danone.communities », auquel le groupe a souscrit ainsi qu’un tiers de ses salariés français. En 2009, les actionnaires ont aussi accepté de prélever 100 millions d’euros sur les bénéfices afin de créer un fonds soutenant « l’écosystème » de Danone, c’est-à-dire les petites entreprises qui fournissent le groupe. Ce qui a permis, en deux ans, de consolider environ 15 000 emplois dans le monde. Ainsi, selon l’expression d’Emmanuel Faber, se développe une « zone démilitarisée » qui montre qu’« un autre monde est possible ». Le manager ne craint pas de reprendre ce célèbre slogan, lui qui a participé au Forum social de Belém en 2009, tandis que Franck Riboud intervenait au Forum de Davos.
Passionné de sports de montagne, Emmanuel Faber se trouve ainsi sur une étonnante ligne de crête. Outre sa présence dans des cercles altermondialistes, aux côtés de Pierre Rabhi par exemple, il consacre des soirées à témoigner de ses convictions dans des paroisses ou des rassemblements catholiques. Lui qui a renoué avec la foi chrétienne au moment de son mariage est profondément épris de la figure de François d’Assise : « Sa liberté, sa joie de vivre, son intransigeance vis-à-vis de ce qui n’est pas la vie me quittent rarement. » Ayant « une vénération pour l’altérité et la gratuité », il a été à deux reprises s’impliquer une semaine dans une maison pour mourants de Mère Teresa à Delhi puis, pendant deux ans, il est allé chaque vendredi midi dans un centre de soins palliatifs à Puteaux pour accompagner des malades. « J’ai vécu des moments extraordinaires de gratuité et d’intensité. Ils sont devenus si importants que j’ai préféré arrêter. Je ne voulais pas que ces personnes deviennent pour moi le support d’une expérience. »
« Tempérence »
Cet homme qui n’hésite pas à plaider pour la « tempérance » et même la « continence » n’en reste pas moins un manager très exigeant, soucieux d’efficacité et de résultats. Avec une rémunération de haut vol : selon le rapport annuel de l’entreprise, il a reçu pour 2010 une rémunération totale de 3,4 millions d’euros. Sur ce sujet, il ne se dérobe pas. Il assume la logique de marché qui conduit à de tels montants parmi les cadres de Danone : « Quand on entre dans ce fleuve, il est difficile de ne pas être dans le courant. » Mais, « à titre personnel », il affirme gagner « trop d’argent ».
Au passage, il se déclare prêt à payer davantage d’impôts. La pyramide des revenus est, dit-il « un enjeu social mondial » qu’il espère voir évoluer, citant dans son livre cet exemple chiffré : si les rémunérations pour 1 % des salariés les mieux payés des multinationales étaient de 30 % inférieurs, on pourrait doubler la rémunération des 20 % des salaires les plus faibles, pour l’essentiel dans des pays en voie de développement.
Le chemin de la patience
Comment avancer dans cette direction ? Emmanuel Faber note que le groupe Danone a mis en place un système de rémunération variable, pour ses 10 000 managers, reposant sur trois critères égaux en poids : résultats économiques, sociaux et sociétaux. « L’an dernier, mes objectifs en termes de résultats d’exploitation pesaient autant que ceux de réduction de nos émissions de CO2. » Il y a dans ce système, estime-t-il, « un élément de tempérance » et « une occasion de grandir en conscience ».
Ces mots sont sans doute ceux qui résument le mieux le chemin que suit Emmanuel Faber. Il voudrait contribuer à éveiller les esprits sur les destructions que provoque une économie livrée à la seule logique financière. Simplement, il ne croit pas que les choses puissent changer vraiment sans une « conversion » des personnes, une par une. « La question, c’est simplement de proposer une ouverture afin de respirer un peu différemment et que la conscience de chacun puisse ainsi émerger à son rythme. » Dans ces conditions, le changement collectif peut-il aller vite ? « Je suis d’une grande impatience et le premier chemin pour moi est celui de la patience. Les choses viennent en leur temps. »
(1) Chemins de traverse. Vivre l’économie autrement, Éd. Albin Michel, 222 p., 18 €.
GUILLAUME GOUBERT "
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