C'est la question que pose Meïr Waintrater dans l'éditorial du mois de mars 2007 de l'Arche, le mensuel du judaïsme français.
Voici le texte de cet éditorial :
Où l’on reparle du «vote juif»
À l’approche de chaque échéance électorale, le serpent de mer nommé « vote juif » refait son apparition. Tel journaliste, ayant interrogé une dizaine de personnes, nous donne gravement son point de vue sur ce sujet. Tel polémiste se déchaîne contre les Français juifs soupçonnés de voter mal, c’est-à-dire dans le sens qui n’est pas le sien. Tel analyste nous met en garde contre la tentation qu’auraient les Juifs de faire usage de leur poids électoral.
Poids électoral? Voyons cela de plus près. Les Juifs représentent environ 1 % de la population française. Ils sont un peu plus nombreux que les Arméniens, et un peu moins nombreux que les protestants. Le sens commun nous suggère que, dans la mesure où il y a un vote juif, il y a également un vote arménien et un vote protestant. On devrait donc, en bonne logique, parler aussi de ces votes-là.
Or voici ce que nous indique une rapide recherche sur Google. «Vote juif»: 21 700 résultats (oui, vingt et un mille sept cents textes français, en ligne sur Internet, parlant du « vote juif »). «Vote protestant»: 106 résultats. «Vote arménien»: 56 résultats. Les populations concernées étant d’importance comparable, cela signifie que dans la boîte à échos d’Internet le vote d’un Français juif, moi par exemple, pèse 200 fois plus que le vote d’un Français protestant, et 400 fois plus que le vote d’un Français arménien.
Si j’avais le coeur à rire, je dirais que c’est me faire beaucoup d’honneur. Mais je n’ai pas le coeur à rire, car nous comprenons trop bien pourquoi le sujet suscite une attention aussi disproportionnée. Sous le mythe du «vote juif» se dissimule – oh, à peine – le fantasme du «pouvoir juif». Un fantasme qui a tué, et qui peut tuer encore.
La vérité, bien sûr, est qu’il n’y a pas de «vote juif». Il y a des Juifs qui votent. Dans l’isoloir, les Français juifs se détermineront en fonction de ce qu’ils estiment être l’intérêt du pays. Tout comme leurs compatriotes protestants et arméniens. Et, au même titre que ces derniers, ils prendront en compte, dans leur perception de l’intérêt du pays, des éléments de leur vécu propre. D’ailleurs, les autres électeurs français – y compris les fonctionnaires, les non-fumeurs, les retraités et les automobilistes – n’agiront pas autrement.
Parmi les éléments que les Français juifs invoqueront pour déterminer leur choix électoral, il y aura probablement leurs préoccupations face à la montée en Europe d’un nouvel antisémitisme et face au développement au Moyen-Orient d’un intégrisme potentiellement génocidaire. Mais ce serait insulter nos compatriotes non juifs que de supposer qu’ils ne sont pas, eux aussi, sensibles à ces préoccupations. D’autant qu’elles nous renvoient à des valeurs qui sont partagées par l’immense majorité des Français, toutes origines et toutes appartenances politiques confondues: le maintien, chez nous, de l’ordre républicain, et le respect, dans le monde entier, de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Un « vote juif », dites-vous?
Meïr Waintrater
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