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Le Blog des Spiritualités

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Manitou, le rassembleur des égarés.

Publié par Jean-Laurent Turbet sur 28 Décembre 2006, 15:03pm

Catégories : #Judaïsme

J'avais dans un précédent article sur Manitou évoqué les 10 ans de sa disparition.

Voici un bel article de Noémie Grynberg sur sur Guysen Israël News que je tenais à vous faire partager:

A l’occasion des dix ans de la disparition du Rav Léon Ashkénazi, jeudi 21 décembre, l’Université Bar Ilan organisait, en collaboration avec la faculté de philosophie et le "Centre du Judaïsme Sépharade pour la société, la culture et l’éducation", un colloque à sa mémoire intitulé : "Le secret de l’hébraïsme : kabbale, philosophie et éducation

Cette journée d’étude a rassemblé près de 500 personnes, dont beaucoup de ses anciens élèves et disciples, venus écouter les enseignements du "Maître", et pour faire plus ample connaissance avec la personnalité si particulière de Manitou.

37 personnalités du monde académique étaient présentes pour animer les différentes sessions dédiées à la pensée et à l’œuvre de Manitou dans son ensemble : professeurs d’université, chercheurs, rabbins. Tous ont tenté de cerner un aspect de l’œuvre du Rav Léon Ashkénazi, de ce génie de l’humain et de l’homme juif en particulier. Parmi les intervenants, on peut citer Shmuel Trigano, Marc-Alain Ouaknine, le sociologue Erik Cohen ou encore l’historien Yossef Sharvit, initiateur du colloque.

Manitou, homme d’exception, c’est d’abord le parcours de la "Galout" à la renaissance hébraïque. On est encore loin d’apprécier à sa juste valeur, dix ans après sa disparition, la portée incommensurable de sa pensée. La figure de Manitou est multiple : leader éducatif et spirituel, amoureux des textes et de la langue hébraïques. Ce qui définit plus particulièrement Manitou, c’est son sens de l’humour unique, révélant esprit et réflexion profonde, instaurant une distanciation à la fois entre sa condition d’homme mortel et son rôle intemporel de rabbin.

Certains, non sans malice, ont interprété son totem en "Manie tout". Manitou était avant tout un "EI", un éclaireur israélite. C’est au sein de ce mouvement de jeunesse qu’il a hérité de son nom de totem qui retranscrit bien sa nature de meneur d’hommes, de guide spirituel, de chef. Manitou voyait dans les "EI" l’expression d’un pluralisme juif (orthodoxe, sioniste, libéral), d’un modèle pour les futures générations à reconstruire après le désastre de la Shoah en Europe.

Manitou se définissait lui-même comme "un juif redevenu Hébreu". Tel était son engagement : redonner une identité hébraïque au Juif revenant d’exil sur sa terre, un des grands messages de son enseignement.

Léon Ashkénazi était non seulement un enseignant, un interprète de la Tora, un talmudiste mais aussi un « passeur » du message biblique à travers ses diverses dimensions, un kabbaliste, un psychologue, un philosophe, un pédagogue, un visionnaire. Il se voulait un éveilleur d’esprit. Ayant étudié, au-delà de la simple tradition juive, la philosophie, la sociologie, les lettres, l’anthropologie et même l’ethnologie, en un mot les sciences humaines et sociales, sa pensée en a gardé de profondes références, venant éclairer d’un angle nouveau la connaissance ancestrale de ses pères. Loin de rejeter les matières profanes, Manitou s’en est servi pour approfondir et appuyer sa réflexion juive.

Plus qu’un simple rabbin ou précepteur, Manitou était d’une curiosité intellectuelle sans borne et d’une connaissance éclectique. Son absence laisse encore un grand vide dans le monde de la pensée juive moderne.

Son combat était pour un judaïsme orthodoxe moderne et éclairé, ancré dans la réalité du monde et du présent. Il souhaitait des Juifs actifs dans la société civile, la pratique des mitsvot dans la vie quotidienne, dans les actes de tous les jours, dans le vrai rapport aux autres. Manitou était pour l’action dans la sphère collective et nationale, qui forme la nouvelle identité juive en Israël.

Héritier du renouveau de la pensée juive émanant de l’école de Paris, Manitou a principalement enseigné en français. Homme de l’oral, il n’a que très peu écrit, mais il a laissé derrière lui des milliers d’heures de cours enregistrées que ses disciples se chargent actuellement de retranscrire et de publier. Il aura fallu une décennie après sa disparition pour que son enseignement pénètre enfin les cercles israéliens et les universités.

L’école de Paris
On ne peut comprendre Manitou sans aborder ce que représente l’école de Paris. Contrairement à l’école allemande de pensée prônant la symbiose universaliste, l’école de Paris apparue au début de XXème siècle avec des penseurs comme Emmanuel Levinas, réintroduit la dimension intellectuelle du judaïsme. L’école de Paris considère le judaïsme comme une pensée à part entière ; le fait juif y trouve une nouvelle définition : une tradition composée de notions claires et d’idéal contre la doctrine. L’identité juive devient sujet d’étude. L’ensemble de cette attitude mène la pensée juive française à une créativité intellectuelle qui invente des questions et une pensée universelle. L’école de Paris voit également au travers du judaïsme une philosophie de l’histoire. Manitou va plus loin : pour lui, dieu est "in chronique" (dans le temps).

La pensée de Manitou
Le Rav Ashkénazi est l’artisan d’une réconciliation entre judaïsme d’Orient et d’Occident, entre Tora et science.
Disciple de l’école de Paris et de la renaissance de la pensée juive, Manitou insiste sur le caractère éternel du peuple d’Israël et sur sa capacité à vivre la modernité. Manitou proposait une synthèse entre les sciences juives d’érudition pratiquées dans les universités (philologie, ethnographie) et l’étude talmudique traditionnelle, synthèse qu’il appelait "la réunification des forces". Ainsi, le maître ne se privait pas d’allier sources juives et exégèses modernes pour dispenser son enseignement original et riche, véritable reformulation en langage contemporain de haut niveau des textes les plus anciens de la tradition. Il a retissé le lien entre judaïsme et esprit universitaire.

Le Rav Léon Ashkénazi prônait une philosophie du dialogue basée sur la dialectique et la logique des oppositions : la dialogique du messianisme. Israël, porteur de liberté car être en devenir, s’oppose au déterminisme d’Essav, être achevé.

Dans sa recherche comparée entre les cultures, Manitou s’est attaché à confronter prophétie et mythologie, hassidisme et psychologie, spiritualité et matérialité, culture et morale, sujet et objet. Il a ainsi cherché à expliquer la faillite de la morale dans toutes les grandes civilisations.

Une des dimensions principales de l’enseignement de Manitou repose aussi et surtout sur le sionisme comme la première étape de la délivrance. Le sionisme devient un fait concret et politique, une réalisation de la promesse divine. Manitou insistera aussi sur le triptyque de l’identité juive originelle : un peuple (Abraham), une terre (David), une Tora (Moise). L’unité fait le sacré.

Manitou était également un traducteur, sur le mode midrashique, c’est-à-dire une traduction adaptée selon les époques. Il a redéfini une terminologie dépoussiérée du contexte chrétien de la "Galout" pour les termes hébreux en français moderne.

L’œuvre du Rav Léon Ashkénazi est immense. Il serait vain de tenter de la résumer en quelques phrases. Dans tout son enseignement, Manitou a risqué de briser les carcans pour mieux respecter ensuite la tradition. Révolutionnaire dans sa démarche, il a ouvert le monde de la pensée juive à de vastes horizons. Sa pensée éclairante et éclairée reste un guide vers la profondeur toujours renouvelée des sources juives. Sa lumière savante, éclectique, curieuse de tout, tournée vers l’extérieur et vers l’autre sans se couper de soi-même et de ses racines, aura apporté une richesse formidable à l’élite spirituelle religieuse orthodoxe d’aujourd’hui.

Noémie Grynberg

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