Article d'Antoine Nouis, vu sur le site de Réforme :
La justification par la foi, la conscience individuelle face à toute autorité, la souplesse ecclésiologique sont aux fondements mêmes du protestantisme.
Dans un passage de sa Dogmatique, Karl Barth souligne que le théologien protestant devrait d’abord être catholique pour pouvoir comprendre pleinement la « protestation protestante. » Lorsqu’on a grandi à l’intérieur d’un système, on le considère comme évident et on a du mal à en distinguer la particularité. Trois éléments nous permettront de définir le protestantisme : un fondement théologique, un principe anthropologique et une souplesse ecclésiologique.
Le fondement théologique qui définit le protestantisme est la grande affirmation de la justification par la foi. Ce principe inverse ce que nous considérons habituellement comme la source de la justice. Ce qui nous rend juste, ce ne sont pas nos actes de justice mais le fait que Dieu nous voit justes par Jésus-Christ. L’accueil que Dieu nous accorde est inconditionnel puisqu’il ne dépend pas de nos mérites mais qu’il trouve sa source dans le don de l’Evangile.
A la suite du message de l’épître aux Romains, Luther ne fait pas que poser cette affirmation comme un des éléments de sa théologie, il en fait le principe fondateur sur lequel tout repose : « La justification par la foi est l’article principal de notre doctrine. Ce seul article maintient l’Eglise du Christ ; là où cet article est perdu, le Christ ainsi que l’Eglise sont perdus, et ni la connaissance des doctrines, ni l’Esprit ne demeurent. Il est le soleil, le jour, la lumière de l’Eglise. »
Le propre de la théologie protestante est de faire de ce principe la clé qui détermine toute la piété et la vie de l’Eglise. Elle est la catégorie herméneutique, c’est-à-dire le modèle d’interprétation, qui structure la foi. Alors que d’autres familles chrétiennes partagent cette compréhension de la justification, la singularité du protestantisme se situe dans le positionnement de ce principe au fondement de sa théologie.
Le « non » de Luther
Lorsque ses idées ont commencé à se diffuser, Luther a été convoqué à la diète de Worms par l’empereur Charles Quint. Il est mis en demeure de se rétracter afin de ne pas diviser l’empire. Le Réformateur est face à un dilemme : obéir à une autorité légitime qui lui demande de se désavouer publiquement ou rester fidèle à ce qu’il considère comme le vrai Evangile. Se soumettre à la majorité ou maintenir sa position au nom de sa conviction intime.
Luther demande 24 heures de réflexion et, le lendemain, le 18 avril 1521, il oppose un « non » clair et sans appel à la demande de l’empereur, en invoquant sa conscience captive de la parole de Dieu : « Je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr ni honnête d’agir contre sa propre conscience. Que Dieu me soit en aide. » Face à l’official de l’évêque de Trèves qui l’adjurait d’abandonner sa conscience – « Frère Martin, la seule chose qui soit sans danger est de se soumettre à l’autorité établie » –, Luther, petit moine d’un couvent de province, se tient debout, seul, et préfère sa conscience aux autorités politiques et religieuses de l’empire. Ce jour-là, on peut considérer que le christianisme est entré dans la période moderne de son histoire.
L’Eglise est seconde
Pour définir la souplesse ecclésiologique, nous pouvons partir de la différence d’avec l’Eglise romaine. Pour cette dernière, l’organisation de l’Eglise appartient à la révélation, ce qui signifie qu’une Eglise qui n’est pas organisée autour des trois ministère de l’évêque, du prêtre et du diacre n’est pas fidèle à l’enseignement de Jésus-Christ. Dans l’approche protestante, la révélation chrétienne ne concerne pas la fondation de l’Eglise mais la seule annonce que Dieu fait grâce à travers la vie, l’enseignement, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. L’Eglise est seconde, elle relève de l’organisation que les hommes se donnent pour partager, célébrer et témoigner de cette annonce.
C’est pourquoi nous trouvons dans le protestantisme, à partir d’une même conviction théologique, des modes d’organisation de l’Eglise très différents. Pour être Eglise, un évangile et quelques frères et sœurs suffisent. Si on a un morceau de pain et un peu de vin, c’est encore mieux. Tout le reste relève de la diversité de notre humanité.
Cette souplesse ecclésiologique a été une fragilité pour le protestantisme qui ne peut s’adosser sur une tradition séculaire ni sur une organisation internationale. Elle est aussi une richesse en ce qu’elle permet une bonne adaptation aux différentes cultures et traditions humaines.
Ces trois éléments permettent de définir le protestantisme à la jointure entre l’Eglise et les hommes, la foi et le monde, la théologie et la culture. C’est ce que disait André Dumas lorsqu’il écrivait à propos des fondements du protestantisme : « Seulement la foi mais pleinement la vie, seulement la Parole mais pleinement l’action, seulement la Bible mais pleinement la culture, seulement l’Eglise mais pleinement le monde. Telle s’est voulue et se veut la Réforme, en une humble hardiesse. »
Carl Jung et le protestantisme
Dans ses lettres, Carl Jung s’adresse à un pasteur pour lui dire sa vision du protestantisme. En voici deux extraits :
« L’Eglise réformée se leurre totalement si elle cherche à égaler l’Eglise catholique dans quelque domaine que ce soit. Cette dernière possède toute la richesse de la tradition, la première est pauvre et doit d’ailleurs être pauvre car il lui faut sans cesse se débarrasser du passé pour vivre dans cet esprit toujours créateur qui est son véritable fondement… Son unique sens, son sens le plus élevé me paraît être de vivre dans et avec l’esprit créateur et partager ses aventures, sa tragique destinée, ses risques et son triomphe. L’Eglise catholique s’occupe tellement mieux de la codification des souvenirs et de leur transmission à l’histoire. »
« Le protestantisme est – quand on le comprend bien – avant tout une religion pour adultes. L’Eglise catholique est une mère tandis que le protestantisme joue le rôle du père. Le protestantisme fait de l’enfant un homme adulte, et chaque adulte a son point de vue. C’est pourquoi l’éparpillement du protestantisme semble être précisément une garantie de sa vitalité. Je considère cet éparpillement comme le signe d’une vivacité qui n’a au fond rien d’inquiétant. »
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