Vu sur le site du Figaro :
En butte à la xénophobie, la communauté juive moscovite compte sur la visite du premier ministre israélien pour relancer son projet de Musée de l'Holocauste.
Le premier ministre israélien Ehoud Olmert entame aujourd'hui sa première visite à Moscou. Ce voyage de trois jours coïncide avec le quinzième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre la Russie et l'État hébreu. Il sera dominé par le dossier nucléaire iranien. La guerre du Liban figurera également au menu des conversations, Tel-Aviv ayant dénoncé durant le conflit l'utilisation par le Hezbollah d'armes russes. Ce voyage est attendu par la communauté juive de Russie, qui, bien que confrontée à un antisémitisme enraciné, connaît un dynamisme certain.
N'ÉTAIT-CE le chandelier à sept branches qui orne le portail en bois, le Centre de la communauté juive moscovite passerait pour le siège social d'une entreprise moderne. Dans ce bâtiment inauguré en 2000 au nord de Moscou par le président Poutine en personne, 16 000 familles se croisent pour prier dans la synagogue qui en forme le coeur, mais aussi dans les étages pour surfer gratuitement sur Internet, faire du sport, de la danse ou se retrouver dans un des meilleurs restaurants casher de la capitale. Le premier ministre israélien se rendra jeudi dans ce lieu de vie qui prétend être le plus important centre communautaire juif d'Europe, symbole du dynamisme de la communauté israélite de Russie.
Selon le recensement de 2001, où les citoyens étaient invités à décliner leur religion, la Russie compte 300 000 juifs. Ils seraient beaucoup plus nombreux. La Fédération des communautés juives de Russie, dirigée par le grand rabbin Berl Lazar, les estime à 600 000, rien qu'à Moscou, et à plus de 1 million dans le pays. Ce malgré l'émigration massive déclenchée par la chute de l'URSS (1 million de départs vers Israël, autant vers les États-Unis).
« Le génocide est un non-sujet »
Dans le contexte actuel de xénophobie (chasse aux Géorgiens encouragée par l'État, agressions récurrentes contre des étudiants étrangers), l'antisémitisme préoccupe-t-il la communauté ? C'est « un problème aussi ancien que la naissance du premier Juif », philosophe Adolf Chaevitch, rabbin de la synagogue chorale de Moscou, édifice centenaire qui accueillera également Ehoud Olmert. L'antisémitisme ? « Une chose sacrée », « inscrite dans nos gènes de Russes », ironise Alla Gerber, du Centre Holocauste. « Dans la nouvelle Russie, il y a en permanence des agressions contre les synagogues, des profanations de cimetières, des injures », résume Adolf Chaevitch, qui se proclame toujours grand rabbin malgré l'élection de Berl Lazar en 2000. La scission entre ces deux leaders spirituels est davantage liée à des motifs de politique intérieure russe qu'à des questions religieuses. « Toute une littérature antisémite est publiée au grand jour », poursuit Adolf Chaevitch.
La communauté fut sous le choc lorsque le 11 janvier, un skinhead de 20 ans a poignardé neuf juifs dans une des sept synagogues de Moscou. Tous ont réchappé à leurs blessures. Lors de son procès (il a été condamné le 15 septembre à 16 ans de prison), le coupable, Alexandre Koptsev, a raconté avoir lu Mein Kampf et surfé sur Internet. Le Net « déborde de sites antisémites », dénonce Alla Gerber. Petite fille de déportés ukrainiens, fille d'un ingénieur victime des purges « antisionistes » de Staline, Alla Gerber, qui fut député sous Eltsine, lutte contre l'oubli. Dans le pays « de la grande guerre contre le fascisme » dont l'armée a libéré Auschwitz, « le génocide est resté un non-sujet », déplore-t-elle. Alla Gerber milite depuis dix ans pour qu'un Musée de l'Holocauste soit créé en Russie. Ariel Sharon avait plaidé la cause de ce lieu de mémoire auprès de Vladimir Poutine lors de l'une de ses visites à Moscou. Le Kremlin a promis de consacrer plusieurs salles du Musée de la grande guerre patriotique au génocide. Depuis plus de deux ans, le Centre Holocauste attend toujours une suite. Poutine n'a jamais adressé de lettre à la communauté au moment de la commémoration annuelle d'Auschwitz comme le faisait Eltsine, remarque Alla Gerber. Parmi les « silovikis », comme on appelle l'entourage de Poutine issu des « services » et de l'armée, « il y a des antisémites », affirme-t-elle. Cette « grande dame », combattant des droits de l'homme, figure, comme la journaliste Anna Politkovskaïa assassinée le 7 octobre, sur des listes des « ennemis de la Russie » publiées sur le Web. Elle reçoit régulièrement des menaces de mort.
Dans ce contexte, on peut s'étonner lorsque le grand rabbin Berl Lazar affirme que, en 2005, les juifs ont été plus nombreux à immigrer en Russie qu'à émigrer. Certaines familles ont fui le terrorisme et la guerre au Proche-Orient. Beaucoup, assurent Adolf Chaevitch et Berl Lazar, sont revenues « en raison des opportunités professionnelles ». Le climat politique se durcit mais l'attractivité économique reste forte. C'est tout le paradoxe de la Russie actuelle. Berl Lazar, plus optimiste qu'Alla Gerber assure que ces retours « démontrent qu'aujourd'hui, Dieu merci, on peut vivre en tant que juif en Russie et y occuper n'importe quelle position sociale sans y être stigmatisé ».
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