Vu sur le site de Respublica, la Gauche Républicaine. La Chronique d'Evariste :
Vendredi 29 septembre 2006 Par Évariste Article publié dans le numéro 474 . Lien permanent vers cet article :
Il y a tout juste un an, paraissaient dans le journal danois Jyllands-Posten douze caricatures de Mahomet. On sait ce qui s'ensuivit : menaces de mort, manifestations, émeutes, et un procès intenté au journal Charlie Hebdo qui, on s'en souvient, manifesta sa solidarité en publiant les caricatures dans un numéro sur lequel on pouvait voir Mahomet, version Cabu, déplorer " être aimé par des cons ". Un an après, c'est au tour d'un professeur de philosophie, R. Redeker, de se voir menacé de mort et forcé, avec toute sa famille, à la clandestinité. Quel crime a-t-il bien pu commettre pour voir sa vie basculer du jour au lendemain ? Quel acte scandaleux l'oblige aujourd'hui à abandonner ses classes ? Qu'a-t-il bien pu faire, enfin, pour mobiliser la DST, qui assure sa protection et celles de ses proches, ainsi que deux gendarmes, qui surveillent son domicile en permanence ?
Qu'est-ce qui lui vaut d'être le premier français à subir la fatwa ? R. Redeker a osé faire quelque chose de très grave, il a commis la pire des hérésies, il a osé transgresser la loi des bien-pensants : il a osé écrire dans le Figaro que le Coran était violent. R. Redeker est un impie : il a eu l'audace de critiquer une religion.
R. Redeker aurait dû écouter les bien-pensants, les donneurs de leçons, les gentils dévots : vous les connaissez, vous les avez vus à la télévision, ils sont aisément reconnaissables. Je les ai vus, encore aujourd'hui, sortir du bois pour évoquer, dans les journaux télévisés, l'affaire Redeker. Ils ont le style doucereux, ils prennent des airs contrits, ils lèvent les yeux au ciel, ils poussent des soupirs, ils font des ronds de jambe et ils finissent toujours par se prendre les pieds dans le tapis : " Vraiment, commencent-ils par dire, la violence, ce n'est pas bien, c'est même très mal, vous voyez, moi, je suis contre la violence. On est des gens civilisés, on est pour le dialogue : on condamne l'intégrisme. Mais, poursuit le gentil dévot, ce professeur de philosophie, tout de même, il est très radical ". C'est alors que le gentil dévot fait les gros yeux : " c'est tout de même lui qui les a provoqués ! Dans ce climat de tensions, on n'a pas idée de critiquer le coran. Je ne dis pas qu'il a mérité ces menaces de mort, mais, enfin, cela ne m'étonne guère". Comprenez : au fond, sa fatwa, il l'a bien cherchée. Il faut ménager la sensibilité des intégristes. Les gentils dévots aiment les nuances, mais celles-ci ne sont jamais que pudibonderies et jésuitismes. Un exemple : le gentil dévot se dit démocrate. Bien sûr, dit-il d'un air pénétré, il défend la liberté d'expression. Sauf que celle-ci doit s'arrêter devant le " respect des religions ". La religion, pas touche, c'est sacré. Il faudrait rappeller une évidence au gentil dévot qui se dit démocrate : la liberté d'expression a justement été conquise contre le respect des religions. Contre ceux qui affirmaient que la religion était chose sacrée, les promoteurs de la liberté d'expression revendiquaient le droit de critiquer la religion. Le gentil dévot est décidemment une conscience malheureuse : il ne veut surtout pas trancher, et oscille éternellement entre deux désirs contradictoires. Il veut et la liberté d'expression, et l'interdiction de critiquer la religion. C'est-à-dire la censure.
Ce que masquent les pieux discours des gentils dévots, c'est le visage féroce et hideux de tous ceux qui, depuis des siècles, par peur, se couchent devant un dieu quelconque et se racontent des histoires pour cacher leur lâcheté. Car n'allez pas croire qu'il n'y ait que les dignitaires religieux qui fassent office de gentils dévots. Quelques figures : gentil dévot, mais dévot féroce, cet élève de Seconde, interrogé par un journaliste de La dépêche du Midi, qui pense que ce professeur a tout de même un peu " abusé ".
Dévot féroce, le rédacteur de journal qui, après avoir publié un texte mal-pensant se précipite pour faire ses excuses. Dévot féroce, Mouloud Aounit, l'homme des basses oeuvres, qui élabore des stratégies judiciaires pour attaquer R. Redeker. Dévot féroce, cet homme de gauche, qui se dit " libre-penseur " et " anar ", qui aime se présenter comme un " bouffeur de curés " et qui, lorsque je lui demande s'il participerait à un comité de soutien de R. Redeker, fait la moue, se débine, car " quand même, son papier, dans le Figaro, il était pas très bon". Dévot féroce, Gilles de Robien, qui après s'être déclaré solidaire, suggère que R. Redeker est un fonctionnaire qui a manqué de modération et de prudence. Dévot féroce, cet enseignant qui, sous couvert d'anonymat bien sûr -les collabos sont toujours un peu honteux- avoue qu'il avait quelques soupçons. A en croire ce vigilant collègue, R. Redeker était un homme louche. Pensez ! : "Il a abordé à plusieurs reprises la question de l'islam en France et aimait attirer l'attention sur lui". Cela laissait présager le pire en effet. Odieuse petite cabale de dévots féroces, tous ces collègues du lycée de Saint-Orens-de-Gameville qui, au lieu de soutenir un homme condamné à mort pour avoir fait usage d'une liberté constitutionnelle, déplorent " la mention du lycée dans l'article ". Confondre à ce point la bassesse et la défense de l'honneur... La palme de la tartufferie revient peut-être à ce jouraliste de l'AFP, qui souligne perfidement que M. Redeker, " était loin de faire l'unanimité au sein des 1500 élèves et 200 membres du personnel " de son lycée. Détail rassurant sur sa position de professeur : seul un gourou est capable de produire une telle unanimité !
Pendant que les dévots jouent les idiots utiles des intégristes, pendant qu'ils ergotent sur son article, pendant qu'ils ouvrent un boulevard à l'extrême-droite qui ne devrait pas manquer l'occasion d'instrumentaliser cette affaire, R. Redeker ajoute son nom à la sinistre liste des victimes de la violence islamiste, après celui de Salman Rushdie, de Taslima Nasreen, de Zahra Kazemi, Aayan Hirsi Ali, de Théo Van Gogh, et de bien d'autres encore. Voilà un homme contraint de changer de résidence tous les deux jours, obligé de payer tous les frais que cette situation engendre, assigné à une existence de fantôme. Allez, j'ose une réflexion qui mérite la fatwa. J'ose être mal-pensant : du temps de Bernardo Gui, au moins, les hérétiques avaient droit à un procès. Aujourd'hui, en France, le blasphémateur est abandonné à l'état de nature : n'importe quel fou de Dieu peut le tuer n'importe quand et n'importe où. Tel est le sort de R. Redeker : vivre en sursit pendant que tout un peuple de dévots devise sur le respect des religions et maudit les vilains blasphémateurs.
Evariste est en contact avec Robert Redeker[1] et mettra un point d'honneur à lui transmettre tous les messages de soutien que vous souhaiterez lui faire parvenir.
Notes
[1] Erratum : R. Redeker n'a pas été "suspendu" de l'Education, comme Evariste l'avait indiqué dans sa dernière chronique (Respublica n°473). Par mesure conservatoire, et pour sa protection, sa hierarchie a jugé préférable qu'il cesse de remplir ses fonctions de professeur de philosophie.
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