Zacarias Moussaoui a livré ses derniers mots après l'énoncé officielle de la peine, au lendemain du verdict : "Que Dieu sauve Oussama ben Laden, vous ne l'aurez jamais".
Il venait d'échapper la veille à la peine de mort, demandée par l'administration Bush.
Il ne pourra désormais plus s'exprimer en public. La juge Leonie Brinkema, qui a énoncé officiellement le jugement rendu la veille par le jury populaire, lui a promis une mort lente, silencieuse, bien loin des projecteurs de la salle d'audience du tribunal d'Alexandria, théâtre de ce procès emblématique de deux mois.
L'échange entre la juge et le condamné a été vif et intense. "M. Moussaoui, vous êtes venu ici pour être un martyr dans un grand et glorieux 'big bang"', lui a lancé la magistrate, "mais, pour paraphraser le poète T.S. Eliot, au lieu de cela, vous mourrez dans un geignement" ("you will die with a whimper").
La juge Brinkema faisait allusion à un vers du poète anglo-américain disant: "this is the way the world ends / not with a bang but a whimper" (ce qui peut être traduit par "c'est ainsi que s'achève le monde, non pas dans un grand 'bang' mais dans un geignement").
A plusieurs reprises, alors que la juge prononçait le jugement officiel et ajoutait ses propres commentaires, le condamné a tenté de l'interrompre. Mais, Leonie Brinkema ne l'a jamais laissé faire, haussant le ton pour le faire taire.
Après l'avoir condamné à six peines de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle, la magistrate a tenu à contester devant lui les propos qu'il avait tenus la veille en quittant la salle d'audience après le verdict le faisant échapper à la peine de mort ("Amérique, tu as perdu (...) j'ai gagné").
"M. Moussaoui, quand cette procédure sera finie, chacun dans cette pièce sortira et verra le soleil (...) entendra les oiseaux (...) et pourra fréquenter qui il veut", lui a rétorqué la juge. "Vous, vous passerez le reste de votre vie dans une prison de très haute sécurité. On sait de façon absolument claire qui a gagné." Et de marteler: "vous n'aurez plus jamais l'occasion de parler à nouveau et c'est une fin adéquate."
Les membres de familles de victimes étaient également invités à s'exprimer. «Je veux que vous sachiez, M. Moussaoui, que vous avez bousillé ma vie, a dit Rosemary Dillard, qui a perdu son mari dans les attentats et qui s'était prononcée contre sa condamnation à mort. J'espère que vous serez assis en prison sans voir le soleil, sans voir le ciel, sans contact avec le monde.»
Le condamné Moussaoui, seul inculpé à ce jour dans l'enquête sur les attaques terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, a pu s'exprimer durant un peu moins de cinq minutes, après l'intervention de la juge. A son arrivée dans la salle de tribunal, il avait fait un signe de victoire.
"Vous m'avez traité de terroriste ou de criminel", a-t-il dit. "Regardez-vous. Je combats pour ma foi". Et il a ajouté: "Je serai libre et ma libération sera la preuve que nous sommes les soldats de Dieu et que vous êtes l'armée de Satan".
Le Français d'origine marocaine, âgé de 37 ans, doit être incarcéré dans une prison fédérale de très haute sécurité dans le Colorado, suivant un régime spécial qui l'empêchera d'avoir des contacts avec le monde extérieur.
Mercredi, n'ayant pu s'entendre à l'unanimité sur une condamnation à mort de l'accusé pour son rôle dans les attentats du 11 septembre, les 12 jurés populaires -neuf hommes et trois femmes-avaient décidé de le condamner à la prison à vie, après sept jours de délibérations.
L'unanimité des douze jurés était nécessaire pour que la peine de mort soit décidée. On ne sait pas officiellement combien s'y sont opposés. Le document de 42 pages détaillant le verdict permet néanmoins de le deviner et révèle à quels arguments ils se sont rangés.
Trois d'entre eux ont estimé que le rôle de Moussaoui dans les attentats du 11 septembre, «s'il existe, était mineur» et que le Français, qui était déjà détenu au moment de la tragédie, «avait une connaissance limitée des plans d'attaque».
En revanche, les jurés n'ont pas suivi les autres arguments avancés pour sa défense. Ainsi, aucun n'a retenu, parmi les circonstances atténuantes, les désordres mentaux de Moussaoui. Aucun n'a estimé que son exécution en aurait fait «un martyr pour les fondamentalistes musulmans radicaux et pour Al-Qaeda». Et aucun n'a conclu que la peine de prison à vie, dans les conditions les plus strictes, serait «plus sévère» qu'une condamnation à mort.»
Jim Cohen, professeur à l'université de droit Fordham à New York, estime que le jury a recherché une solution juste. «Ce n'est pas par compassion pour Moussaoui. Ils pensaient que c'était la peine que la plupart des victimes voulaient et qui serait la pire pour lui», explique-t-il.
Pour l'expert juridique David Rossman, de l'université de droit de Boston, l'accusation a pâti des preuves des erreurs commises par le FBI dans la gestion du dossier. «Il est très facile de dire que le gouvernement a perdu en termes de relations publiques (...)», argue-t-il. «C'était une erreur de la part du gouvernement de faire de Moussaoui le symbole du complot du 11 Septembre», estime pour sa part Daniel Benjamin, analyste du terrorisme et ancien membre de l'administration Clinton.
George Bush a salué la sentence, estimant que le «mal» avait été vaincu. «La fin de ce procès représente la fin de cette affaire, mais pas la fin de la lutte contre le terrorisme», a dit Bush. «Et nous pouvons avoir confiance. Notre cause est juste, et l'issue est certaine: la justice sera rendue. Le mal n'aura pas le dernier mot». Rudolf Guiliani, l'ancien maire de New York qui était en poste au moment des attentats et a témoigné durant le procès, a déclaré la chaîne de télévision MSNBC qu'il aurait préféré voir Moussaoui condamné à mort.
«Mais je suis assez impressionné par la manière dont notre système juridique fonctionne et parvient à déboucher sur un résultat comme celui-ci», a-t-il déclaré.
Gageons que déjà de bonnes âmes vont demander son extradition vers la France. Moussaoui a été jugé régulièrement dans un pays où rêgne un état de droit. Il a eu un procès particulièrement équitable et le juge a mené les débats de façon remarcable en laissant la défense jouer pleinement son rôle. Les audiences «se sont déroulées de manière exemplaire», a déclaré l'ambassade de France aux Etats-Unis.
Il n'y a donc aucune raison particulière qui justifirait que la France le demande. Il aura tout le temps nécessaire dans le Colorado pour méditer sur ses actes et leurs conséquences. Et c'est très bien ainsi. "This is the way the world ends / not with a bang but a whimper"
Commenter cet article