Je ne peux résister au plaisir salutaire de vous proposer la lecture de l'article "Délit
d'Initié", paru dans le journal de la Grande Loge de France.
Car il est de la plume de l'un des meilleurs spécialistes de la Franc-Maçonnerie et de l'Initiation, Gilbert Schulsinger, Grand Maître Honoris Causa de la Grande loge de
France.
Et comme à son habitude Gilbert Schulsinger remet bien des pendules à l'heure. Vous l'aurez compris... moi j'aime beaucoup Gilbert !
Voici son article :
Qu’on se rassure ! Je ne vais pas usurper le terrain de votre quotidien habituel en parlant de ces in formations confidentielles jalousement gardées, pour gagner, au détriment des autres, une poignée de dollars de plus.
Non ; le délit dont je veux parler est d’une autre nature ; il consiste à déformer, adultérer l’initiation maçonnique en la revêtant d’oripeaux magiques occultistes ou mystérieux qui lui enlèvent tout son sens.
Certes, la chose n’est pas nouvelle. Dès la deuxième moitié du XVIIIe siècle, on commençait à s’insurgercontre le rationalisme triomphant en redonnant ses lettres de noblesse à l’imaginaire, au rêve et aumystère. On admit dans nos rangs les magiciens et les « experts en sciences secrètes » car il fallait bienqu’il y ait le secret à la poursuite duquel il fallait courir.
Il y eut ainsi : Dom Pernéty et les illuminés d’Avignon. Il invente son rite et s’adonne à l’alchimie et àl’hermétisme (au
double sens du mot). Il y eut Martinès de Pascally et l’ordre des élus Coëns. Il y eutLouis Claude de Saint Martin ou le philosophe inconnu, qui fut le secrétaire de Martinès de Pasquallyet sera
accueilli à Lyon chez Willermoz. Certains de nos Frères, vers la fin du XIXe siècle, furent très influencés par la théosophie d’Helena Blavatsky et l’anthroposophie de Rudolf Steiner. Il y eut
aussiEliphas Levi, le seul chrétien que je connaisse qui ait pris un pseudonyme juif pour mieux accréditer les délires sur la kabbale.
Tout ce fatras n’a rien à voir avec l’initiation maçonnique.
Tout cela est naturellement fondé sur la raison, une raison nécessaire certes, pour tenter de comprendre l’univers mais aussi une raison qui ne veut plus céder à la raison du plus fort et veut combattre dès lors tousles pouvoirs abusifs, qu’ils soient politiques, militaires ou religieux.
Tout cela est bel et bien, me dira-t-on, mais qu’en est-il de l’initiation ?
L’initiation n’est ni magie, ni illumination. L’initiation est un lent et difficile travail sur soi-même pour s’humaniser et évacuer toutes les scories qui assombrissent le regard. Et il faut naturellement de la raison pour se connaître et se juger, pour décider librement de se dépasser, pour porter sur les êtres et les choses un autre regard. Cela s’appelle la lucidité, première et indispensable étape sur le chemin de la Lumière.
Le rituel est le nécessaire vecteur de cette tentative d’ascension. Processus de re-création, il nous met à l’ordre de l’univers.
Les légendes et les mythes viennent illustrer cette démarche, et le symbole, expression de la pensée analogique est l’auxiliaire indispensable dès lors que la pensée conceptuelle, la raison, ne peut exprimer la totalité de l’idée.
Dans notre Rite écossais, la légende n’est pas la part du rêve qui s’opposerait à la raison ; elle est l’image comme mode d’expression.
Ainsi de Prométhée qui ne craint pas la colère des dieux et leur dérobe le feu pour le donner aux hommes. Le feu – la lumière – la connaissance.
Ainsi de Sisyphe, condamné à pousser éternellement un énorme rocher, sur la pente d’une montagne, qui retombait toujours avant d’atteindre le sommet. Belle illustration de la condition humaine et belle illustration de notre rituel écossais qui nous dit que le temple est toujoursà construire.
Il nous faut donc continuer le long et difficile cheminement qu’est la voie initiatique, ni mystique, ni magique, qui ne dépend que de notre volonté de nous élever pour mieux nous élever en fraternité, étape indispensable vers une spiritualité maçonnique.
La raison est notre garde-fou qui nous garde des dérives et des dévian
ces diverses.
Ce n’est pas un hasard si la Franc-maçonnerie naît au siècle des Lumières et émerge d’une véritable révolution culturelle, d’un bouleversementdes idées reçues.
Elle va ainsi se fonder sur la tolérance pour assurer la paix entre les hommes. Elle va se donner pour mission de répandre la connaissancejusque-là domaine réservé aux gens de l’Église. Elle va faire de l’homme sa préoccupation essentielle et tenter de le mettre à sa juste place dans l’univers.
La légende, le mythe et le symbole à travers le rituel qui les porte, sont pour moi, qu’on me pardonne la paraphrase : « Le génie de la Franc-Maçonnerie». Et finalement c’est grâce à une initiation bien comprise dans toutes ses composantes que notre mission de travailler à l’amélioration de la condition humaine n’est plus seulement un voeu pieux mais une action qu’il nous faut poursuivre à l’extérieur du Temple.
Cette conception de l’initiation maçonnique est à l’évidence en contradiction avec l’Évangile selon Saint René (Guénon). Si on y trouve quelques belles pages, on trouve aussi ce passage caractéristique de sa pensée : « S’il arrive que des idées philosophiques et plus ou moins rationnelles s’infiltrent dans une organisation initiatique, il ne faut voir là que l’effet d’une erreur de ses membres… due à leur incapacité de seprémunir de toute contamination profane. Cette erreur est un des symptômes de sa dégénérescence ».
Nous n’avons plus qu’à renier trois siècles d’histoire où nous avons contribué à répandre l’esprit des Lumières.
Trois siècles ! et René Guénon n’a été Franc-maçon que six mois.
Gilbert Schulsinger, Grand Maître Honoris Causa
Sur ce bloc-notes :
° Je me souviens du futur , de Gilbert Schulsinger. Tout simplement indispensable.
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