Le hors série d'Historia Thématique de janvier-février 2007 est intitulé "Les intégrismes".
C'est un numéro à acheter d'urgence. Pour vous en donner le goût je vous trouverez l'article de Liliane Crété, historienne du Protestantisme.
Spécialiste de l'histoire d'Angleterre et des Etats-Unis, Liliane Crété a publié Les Sorcières de Salem (Julliard, 1995), Le Protestantisme et les Femmes (Labor et Fides, 1999), Les Camisards (Perrin, 1999), La Rochelle au temps du Grand Siège (Perrin, 2001), Le Protestantisme et les Paresseux (Labor & Fides, 2001).
Voici son article intitulé "Un roi, une foi : sus aux Huguenots".
Ce qu'on nomme guerres de Religion fut en réalité un conflit de pouvoir entre la haute noblesse et le souverain. En revanche, dès le règne de Louis XIII, la monarchie ne peut plus tolérer une minorité religieuse qui apparaît comme un Etat dans l'Etat.
Par
Nos livres d'histoire nous apprennent que la France a subi huit guerres de Religion entre 1562 et 1598. Huit guerres fratricides entrecoupées d'édits de pacification qui n'ont cessé d'être violés. Puis vient, en 1598, ce que les protestants les plus optimistes prennent pour le dernier édit, celui qui leur accordera pour toujours le droit d'exister et de prier «à la huguenote» dans le royaume de France. Autrement dit, le droit de pratiquer ouvertement et sans crainte, même si ce n'est pas dans tous les lieux, une religion autre que la religion catholique romaine.
Le préambule de l'édit de Nantes souligne que l'intention première d'Henri IV est de parvenir à mettre fin aux «effroyables troubles, confusions et désordres» et qu'il se félicite d'avoir réussi à surmonter la tourmente et à toucher «la porte du salut et repos de cet Etat». Le roi ne dit pas que l'unité doctrinale du royaume serait assurément préférable, mais il le laisse entendre, et il espère que «nous et ce royaume puissions toujours mériter et conserver le titre glorieux de Très Chrétien, qui a été par tant de mérites et dès si longtemps acquis». Sur quoi il implore Dieu pour que dans Sa bonté, il fasse la grâce «à nos dits sujets» de comprendre qu'en l'observation de cette ordonnance «consiste le principal fondement de l'union et concorde, tranquillité et repos, et du rétablissement de tout cet Etat en sa première splendeur, opulence et force».
Par ailleurs, par des «brevets» laissés secrets, Henri IV octroie à ses anciens coreligionnaires quelque cent cinquante lieux de refuge dont soixante-six places fortes (châteaux forts, bourgs ou villes), privilèges d'un autre âge qui représentent l'un des derniers actes d'une royauté médiévale qui se meurt.
La légitimité religieuse est ici incarnée par le roi. Sa signature, au bas du document, fait loi : il accepte que deux religions cohabitent et il en définit les règles. Henri IV devient ainsi le législateur du nouveau type d'Eglise qu'est devenue, dans la seconde moitié du XVIe siècle, la religion réformée. Comme il est évident que les protestants ne sont que tolérés dans le royaume - le terme est alors très péjoratif - on peut sans doute parler de coexistence dans l'intolérance entre deux religions dont l'autorité n'est pas égale. Le fait que dans l'édit, le protestantisme soit qualifié de Religion prétendue réformée (ou RPR), met en évidence son manque de légitimité historique. Ainsi que l'écrit l'historien du christianisme Gottfried Hammann : «Si l'édit concède aux réformés la reconnaissance du fait acquis (par les armes), il leur refuse du même coup un fondement ecclésiologique propre, avant même le droit ; pour l'édit, il n'y a pas de catholiques réformés en France.» Le texte de l'édit rend en effet impossible toute équivalence institutionnelle des deux confessions. Il faut insister sur la singularité de la France en Europe.
En France, les «luthériens», ainsi que l'on nomme les premiers évangéliques, ont trouvé assez vite des appuis puissants dans la noblesse et, au martyr pour la foi, a succédé le résistant. Le protestantisme ne demeure pas moins le fait d'une minorité, même si cette minorité comprend les plus grandes familles du royaume, et on peut s'interroger sur le bien-fondé de l'expression « guerre de Religion » tant il est évident que le conflit a toutes les caractéristiques d'une guerre de clans que la religion exacerbe. Deux clans en effet s'affrontent : les Guises et les Bourbon-Châtillon. François Ier et Henri II ont eu des sujets ; Catherine de Médicis et ses fils trouvent en face d'eux les fidèles de Condé et ceux des ducs de Lorraine, car une des conséquences de l'apparition du protestantisme seigneurial et manorial est la conversion en masse des vassaux.
Après le flux vient le reflux. Avec la conversion d'Henri IV au catholicisme, le protestantisme stagne et même diminue car elle entraîne celle de beaucoup de nobles huguenots qui font passer leur fidélité au roi, ou leurs intérêts, avant leur attachement à la foi réformée. Embrasser la religion du roi n'est sans doute pas à l'ordre du jour chez les bourgeois et les artisans des villes, mais elle l'est pour les nobles qui entourent Henri IV, ceux qui ont guerroyé à ses côtés, souffert à ses côtés, et triomphé avec lui. Les années de paix et la passion monarchique amèneront une bonne partie de la noblesse huguenote à se rallier à la religion catholique durant le siècle qui sépare l'édit de Nantes de sa révocation. Bien qu'il s'effrite, le parti protestant n'en reste pas moins aux yeux de ses adversaires un corps privilégié qui défigure le royaume du roi Très Chrétien. Tendant vers l'absolutisme dès le règne de Louis XIII, la monarchie ne pourra longtemps tolérer une minorité religieuse qui apparaît comme un Etat dans l'Etat.
«Ruiner le parti huguenot et rabaisser l'orgueil des Grands, réduire tous ses Sujets en leur devoir et relever Son Nom dans les Nations Etrangères, au point où il devoit l'être», tel est le programme que Richelieu présente au jeune Louis XIII. A long terme, il veut le retour des protestants dans le giron de l'Eglise catholique pour des motifs religieux, certes, mais plus encore parce qu'il considère l'unité religieuse comme le ciment de l'unité politique. Il s'attaquera donc en premier aux huguenots. Le Grand Siège de La Rochelle (1627-1628), soutenu par une population décidée à défendre jusqu'à la mort ses privilèges autant que sa religion, et les guerres infructueuses de Monsieur de Rohan dans le Midi de la France, mettent à bas le parti huguenot. Privés de leurs places fortes et de leurs assemblées politiques par la paix d'Alès (1629), les protestants ne peuvent plus compter désormais que sur le bon vouloir de la couronne pour faire respecter l'édit de Nantes.
Le glas sonne pour eux dès le début du règne personnel de Louis XIV. Les Mémoires du roi, pour l'année 1661, montrent que celui-ci souffre profondément de la situation exceptionnelle où se trouve le royaume : la cohabitation de deux religions. Pierre Goubert écrit très justement : «Toute la pensée politique, juridique et religieuse du temps allait contre cette division d'un Etat entre deux Eglises.»
La présence des Eglises réformées défigure le royaume, affaiblit la position du roi en Europe, ternit sa gloire. Par la persécution légale, c'est-à-dire par une interprétation juridique de l'édit très défavorable aux réformés, le développement des missions catholiques, les promesses d'argent et de « grâce » aux convertis, Louis XIV a entrepris de réintégrer les protestants au sein de l'Eglise catholique. On lui affirme dans son entourage que ce sera chose aisée. Il n'en est rien. Alors, au fil des ans, un étau de fer se resserre sur la gorge des « opiniâtres » : on s'en prend à leurs temples et à leurs pasteurs ; on s'en prend à leurs écoles, leurs collèges, leurs académies. On leur interdit les dignités municipales et un grand nombre de fonctions et de métiers. On s'efforce de briser les familles en donnant aux jeunes enfants la possibilité de se convertir au catholicisme ; on enlève même les filles pour les mettre au couvent. On les persécute jusque sur leur lit de mort en les obligeant à recevoir un prêtre, et on leur impose de déplacer leurs cimetières : mort, le protestant dégage des germes maléfiques. Afin d'accélérer le processus de l'achat des consciences, on ôte aux Eglises réformées la possibilité de secourir les pauvres et les malades. Affreuse exploitation de la misère au nom de l'unité religieuse.
Mais les huguenots ne cèdent pas. Alors, pour hâter les conversions, l'intendant du Poitou, Louis de Marillac, suggère en 1681 d'avoir recours aux « missionnaires bottés ». Le temps des dragonnades est venu. L'hébergement de troupes a déjà été utilisé à titre de sanction des populations. On a dragonné chez les Bretons en 1675. Même passager, le logement de troupes est une calamité pour les hôtes, mais cette fois-ci, avec l'assentiment de Louvois, Marillac encourage les dragons à se livrer à toutes les exactions possibles pour faire abjurer les protestants.
Les témoignages abondent sur la cruauté des dragons. Bien qu'en principe l'assassinat et le viol soient exclus des délits autorisés, «il est arrivé en quelques lieux, relate un pasteur horrifié, qu'ils ont attaché les pères et les maris aux quenouilles des lits et, à leurs yeux, ils ont voulu forcer leurs femmes et leurs filles». Le viol reste la forme traditionnelle de l'intégrisme violent et l'instrument favori des soudards : il faut humilier, souiller, terroriser pour dominer par la force brutale. Le résultat ne se fait pas attendre. Marillac annonce la conversion de quelque 30 000 protestants. Plutôt que d'abjurer, certains ont fui vers l'Angleterre et la Hollande où la nouvelle se répand, soulevant l'indignation contre cette persécution religieuse sans précédent. Cela fait mauvais effet et Marillac est désavoué, mais les persécutions continuent sous d'autres formes.
Au printemps de 1685, le protestantisme agonise, mais les protestants sont toujours là, vivant leur foi derrière quatre murs. Alors les dragonnades reprennent. Les dragons sont envoyés au Béarn, puis en Poitou encore, et en Guyenne, dans le Languedoc, les Cévennes, le Dauphiné. L'effet de terreur précède souvent leur arrivée : on se précipite en masse pour signer les registres du clergé. Les bastions cévenols tombent les uns après les autres.
Des listes triomphales, signées par les évêques, les intendants, les gouverneurs, les curés, les juges royaux, les notaires, arrivent à Versailles. Pour faire accepter par les catholiques scrupuleux de l'entourage du roi ces méthodes odieuses, les théologiens se placent sous l'autorité de saint Augustin. Une interprétation littérale de la parabole du festin dans l'Evangile de Luc (Lc 14,23) : «Le maître dit alors au serviteur : "Va-t-en par les routes et les jardins, et force les gens à entrer, afin que ma maison soit remplie''», avait poussé Augustin jadis à préconiser l'usage de la force pour faire rentrer dans l'Eglise les donatistes schismatiques. Ce qui était bon pour saint Augustin l'est pour le roi Très Chrétien et, pour convaincre la population, on fait même paraître un petit recueil de textes intitulé La Conformité de la conduite de l'Eglise de France pour ramener les protestants avec celle de l'Eglise d'Afrique pour ramener les donatistes à l'Eglise catholique. Voilà qui ôte les dernières hésitations du roi. Par l'édit de Fontainebleau, signé le 17 octobre 1685, Louis révoque l'édit de Nantes. Dans le préambule, chef-d'oeuvre d'hypocrisie politique, il affirme que « puisque la meilleure et la plus grande partie de nos sujets de ladite RPR ont embrassé la catholique, nous avons jugé que nous ne pouvions rien faire de mieux pour effacer entièrement la mémoire des troubles, de la confusion et des maux que le progrès de cette fausse religion a causés dans notre royaume que de révoquer entièrement ledit édit de Nantes, et tout ce qui a été fait depuis en faveur de ladite religion ».
Depuis les Provinces-Unies, la voix de Pierre Bayle se fait entendre, stigmatisant la politique de Louis XIV. Mais nul ne lui fait écho : la cour, l'Eglise, la ville, le petit peuple catholique continuent à lancer des vivats d'allégresse. Le royaume de France a retrouvé sa pureté.
Comprendre
Schisme qui divisa l'Eglise, en Afrique du Nord, pendant trois siècles, à la fin des persécutions de Dioclétien (305) au cours desquelles des chrétiens, voire des évêques, avaient renié leur foi pour échapper au martyre. Cette hérésie, condamnée par plusieurs conciles, a été combattue par saint Augustin.
Louis XIV et vingt millions de Français, de Pierre Goubert (Fayard, 1966). Les Camisards 1702-1704, de Liliane Crété (Perrin, 2001). |
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