Plusieurs obédiences maçonniques françaises ont pris position publiquement après l’arrêt de la cour de Cassation qui a annulé le licenciement d’une employée de la Crèche Baby-Loup de Chanteloup les Vignes qui portait le voile.
La Grande Loge féminine de France s’est exprimée par communiqué, puis le Grand Orient de France et la Fédération Française du Droit Humain se sont exprimés par un communiqué conjoint.
Aujourd’hui, Alexandre Reynes, qui est sociologue et conseiller de l’Ordre de la Grande Loge Mixte de France m’a fait parvenir un point de vue différent de celui exprimé généralement.
Il s’exprime évidemment à titre personnel sans engager son obédience. Mais trouve intéressant de le publier ici. Voici son texte :
Baby-Loup : Ne pas ajouter l'exclusion à l'exclusion.
Face à l'émotion provoquée par le jugement de la Cour de Cassation dans l'affaire Baby-Loup, et tout en affirmant mon attachement à la Laïcité, il m'importe en tant que franc-maçon, et à titre personnel, d’exprimer certaines réserves face à l’unanimisme des réactions.
Les principes qui nous animent, la Liberté, la Fraternité et l'Égalité, sont au cœur des processus d'intégration dans la République française. Or ils semblent étonnement absents d'une question traitée sous l'aspect unique du droit ou d'une défense de la laïcité. Défense dont les mots trahissent parfois involontairement la crispation identitaire.
Derrière la multitude des déclarations de principe, derrière les lois, derrière les règlements de police, il y a des vies d’hommes et de femmes qui ne peuvent être simplement révoquées au bénéfice d'un unitéisme républicain élevé au rang de panacée.
Rappelons les faits. La crèche associative Baby Loup, de Chanteloup les Vignes, a licencié en 2008 l'une de ses employées, au motif qu'elle refusait d'ôter son voile dans l'exercice de sa profession d'assistante maternelle, au retour d'un congé parental. Cette crèche, dont le règlement intérieur affirmait la nécessité d'une stricte neutralité religieuse, entendait remplir une mission de service public dans un quartier réputé difficile, de par un chômage important et la coexistence de nombreuses nationalités. Le Conseil des prudhommes de Mantes la Jolie en 2010, et la Cour d'appel de Versailles en 2011 ont approuvé ce licenciement.
Jugement annulé ce 19 mars 2013 par la Cour de Cassation soulignant que s'agissant d'une crèche privée, elle "ne peut dès lors, en dépit de sa mission d'intérêt général, être considérée comme une personne privée gérant un service public" à laquelle le principe de laïcité devrait s'appliquer.
Conscient que le comportement de cette employée ne saurait être toléré dans le cadre de l'exercice d'un service public de l'État, où le principe de laïcité doit être appliqué avec la plus grande vigueur, et qu’il y a de surcroît désobéissance au règlement intérieur de l’établissement, je voudrais ici rappeler que l'emploi est un droit fondamental, et qu’il constitue l'une des premières formes d'intégration sociale, particulièrement dans des temps et des lieux où le chômage et la misère sont les principaux vecteurs du communautarisme.
C'est par le travail et l'intégration dans la vie de la cité que les hommes et les femmes issues de l'immigration trouvent le courage d'affirmer leur liberté de conscience face aux croyances religieuses et à leur cortège de superstitions. Il semble alors d'un autre âge d'exclure un individu de la vie professionnelle, dans une structure de proximité, de surcroît de droit privé, dès lors qu'il n'est fait aucune preuve d'un quelconque prosélytisme religieux mais qu’il ne s’agit que de signes visibles d’une appartenance.
Au-delà d’un aveuglement face à une réalité sociologique, ceci témoigne en tous cas de l'inquiétante illusion d'une société dont la seule forme d'intégration serait l'imitation d'une norme civilisationnelle. L'exclusion du différent n'a jamais été le meilleur rempart contre le communautarisme, bien au contraire.
Rappelons-nous nos combats des années 80 pour donner à chacun le droit à la différence, le droit à la liberté de ne pas renier ses racines, donner le goût de l'Autre et faire taire la peur de la différence. Ce temps semble bien loin.
Il convient peut-être alors de ne pas oublier le principe de Liberté, qui seul peut restaurer l'image généreuse de la République française, la Fraternité, qui impose de traiter chaque homme ou chaque femme avec la même bienveillance et la même neutralité, et l'Égalité qui doit donner à chacun, quelle que soit sa croyance ou son origine sociale ou géographique, la chance de s'intégrer, notamment par le travail, à la vie de la cité.
Là est l'urgence.
Et la voie d'une société apaisée où chacun adhère au contrat social ne peut être trouvée en ajoutant l'exclusion laïque à l'exclusion sociale.
Alexandre Reynes
Sociologue
Conseiller de l’Ordre de la GLMF
° Pour aller plus loin :
° Crèche Baby-Loup : Communiqué conjoint du Grand Orient de France et du Droit Humain, sur ce site.
° Crèche Baby-Loup : Communiqué de la Grande Loge Féminine de France, sur ce site.
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
Je ne parle ni au nom d'une association, ni d'un parti, ni d'une loge, ni d'une obédience maçonnique.
Mes propos n'engagent que moi et non pas l'une ou l'autre de ces associations.
Je ne suis en aucune façon habilité à écrire au nom d'une association, d'un parti, d'une loge, d'une obédience maçonnique. Tout ceci pour que cela soit bien clair, qu'il n'y ait aucune ambiguïté de quelque nature que ce soit.
Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Bloc-Notes, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
Je rappelle simplement que la liberté d’expression est en France un droit Constitutionnel, quelle que soit notre appartenance à une association de quelque nature que ce soit.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
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