Le pasteur Frédéric Desmons (1832-1910) est incontestablement à l'honneur en cette rentrée 2012.
Un article lui est consacré sur le site du Musée de la
Franc-Maçonnerie au Grand Orient de France "Les personnalités du Midi (3) Frédéric Desmons",
qui rappelle l'exposition «L’Orient est au Sud : la franc-maçonnerie du midi» qui se tient actuellement à l’Espace Riquet à Béziers.
La personnalité et l'œuvre de Frédéric Desmons mériteraient de longs développements et certainement plusieurs ouvrages. En quelques mots pour les lectrices et les lecteurs d'aujourd'hui, qui était Frédéric Desmons?
Protestant convaincu il fait des études à Nîmes avant d'aller étudier à la Faculté de théologie de Genève, afin de se préparer à devenir Pasteur. Il devient en effet pasteur de l'Eglise Réformée à Ners dans le Gard, près de son village natal, Vals, en Ardèche et enfin à Saint-Géniès de Malgoirès dans le Gard, autre commune située à quelques kilomètres à peine de Brignon.
Il quittera son ministère pastoral en 1881 lorsqu'il devient député radical (le Parti Radical et Radical Socialiste en tant que tel ne sera créé que 20 ans plus tard, en 1901). Il sera en effet député du Gard de 1881 à 1894. De 1894 à 1909, il est sénateur du Gard. Il est vice-président du Sénat de 1902 à 1905.
Précurseur, il est opposé au cumul des mandats et à ce titre il ne fut jamais maire de Brignon.
Frédéric Desmons met toute sa ferveur dans le combat républicain qu'il mène avec passion et détermination.
Il mène ce combat aux côtés de Léon Bourgeois et d'Emile Combes, deux grands francs-maçons du temps, notamment pour la défense de la laïcité des institutions et la séparation de l'Eglise et de l'Etat et les lois sur les associations.
Frédéric Desmons franc-maçon :
Car Frédéric Desmons est devenu franc-maçon le 8 mars 1863 en étant initié au sein de la Loge "L'Echo" du Grand Orient de France (GODF) à Nîmes. Il quitte cette loge en 1867 pour fonder , à Saint-Géniès de Malgoirès, un autre atelier, avec un titre distinctif qui lui convient mieux : "Le Progrès".
Il est dès 1873 membre du Conseil de l'Ordre du Grand Orient de France. Il devient l'une des figures majeures de cette obédience pendant plus de 35 ans. Il est élu Président du Conseil de l'Ordre du GODF à cinq reprises : de 1889 à 1891, de 1896 à 1898, de 1900 à 1902, de 1905 à 1907, et en 1909... jusqu'à son décès en 1910.
Il est surtout connu pour son action lors du Convent de 1877. Faisons un point de contexte historique.
Après la chute de l'Empire en 1870 et la Commune de Paris de 1871 (rappelons que le président du Conseil de l'Ordre du GODF, Babaud Laribière, nommé après accord de l'Empereur, n'était pas avec ses frères de Paris et de banlieue sur les barricades mais avec 90% du Conseil de l'Ordre à Versailles avec Thiers) de nombreuses voix s'élèvent dans les deux principales (et uniques à l'époques) obédiences françaises, le Grand Orient de France et le Suprême Conseil de France, pour une plus grande libéralisation de ces obédiences.
La Querelle du Grand Architecte :
Le principal vecteur de cette contestation était la lutte contre l'obligation de croire en Dieu pour être franc-maçon, obligation qui devenait de plus en plus intenable au fur à mesure de l'établissement de la République radicale et de la lutte des républicains contre l'Eglise Catholique, alors toute puissante.
Paradoxalement, c'est le Suprême Conseil de France (qui regroupe les francs-maçons travaillant au Rite Ecossais Ancien et Accepté - REAA) qui trouve le premier la parade. Les Grandes Constitutions dites de Berlin de 1786 qui dirigent le REAA sont à peu près muettes sur le sujet. A peine est-il mentionné (manuscrit Delahogue) dans l'introduction des Grandes Constitutions, que celles-ci sont prises "Au nom du Très Saint & Grand Architecte de l'Univers".
Le souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France, Adolphe Crémieux, réunit du 6 au 22 septembre 1875, un Convent International à Lausanne avec 11 des 22 Suprêmes Conseils de l'époque pour modifier les Grandes Constitutions de 1786. Il est écrit dorénavant dans la Déclaration de Principe de ce Convent que « La Franc-maçonnerie proclame, comme elle a toujours proclamé, l'existence d'un Principe Créateur, sous le nom de Grand Architecte de l'Univers.» Cette formulation conservait la formule traditionnelle «Grand Architecte de l'Univers» sans plus la rattacher obligatoirement en une obligation de croire en un Dieu personnel et transcendant. C'était une avancée qui permettait de concilier la liberté individuelle de croire ou pas et de garder l'esprit de la Tradition. C'est cette conception qui a toujours cours aujourd'hui à la Grande Loge de France.
Mais en ce qui concernait le Grand Orient de France à la même époque il en allait différemment. En effet, lors du Convent du GODF de 1865, Charles Fauvety avait fait voter un texte qui définit de cette manière la Franc-Maçonnerie dans l'article 1 de sa Constitution : « Elle a pour principe l’existence de Dieu, l’immortalité de l’âme et la solidarité humaine. Elle regarde la liberté de conscience comme droit propre à chaque homme et n’exclut personne pour ses croyances». On est loin là de la conception ouverte du SCDF de 1875.
Le bouleversement intervient lors du Convent du Grand Orient de France de 1877 avec ce qui a été appelé (à tort puisqu'il n'en est pas question) la Querelle du Grand Architecte.
C'est Frédéric Desmons qui est nommé rapporteur du désormais célèbre voeu n°9 déposé par la Loge "La Fraternité progressive" de Villefranche-sur-Saône et visant à réviser l'article 1er de la constitution du Grand Orient de France tel que rédigé de la façon dont nous venons de la voir.
Et Frédéric Desmons se montre particulièrement éloquent :
" (...) Nous demandons la suppression de cette formule parce que, embarassante pour les Vénérables et les Loges, elle ne l'est pas moins pour bien des profanes qui, animés du sincère désir de faire partie de notre grande et belle Institution qu'on leur a dépeinte, à bon droit, comme une Institution large et progressive, se voient tout à coup arrêtés par cette barrière dogmatique que leur conscience ne leur permet pas de franchir.
Nous demandons la suppression de cette formule parce qu'elle nous paraît tout à fait inutile et étrangère au but de la Maçonnerie. - Quand une société de savants se réunit pour étudier une question scientifique, se sent-elle obligée de mettre à la base de ses statuts une formule théologique quelconque ? - Non n'est-ce pas ? - Ils étudient la science indépendamment de toute idée dogmatique ou religieuse. - Ne doit-il pas en être de même de la Maçonnerie ? Son champ n'est-il pas assez vaste, son domaine assez étendu, pour qu'il ne lui soit point nécessaire de mettre le pied sur un terrain qui n'est point le sien.
Non. Laissons aux théologiens le soin de discuter des dogmes. Laissons aux Eglises autoritaires le soin de formuler leur syllabus. - Mais que la Maçonnerie reste ce qu'elle doit être, c'est-à-dire une institution ouverte à tous les progrès, à toutes les idées morales et élevées, à toutes les aspirations larges et libérales (...)"
Le Convent de 1877 suit Frédéric Desmons et le nouvel article 1er est rédigé comme suit : « La Franc-Maçonnerie, institution essentiellement philanthropique, philosophique et progressive, a pour objet la recherche de la vérité, l'étude de la morale universelle, des sciences et des arts et l'exercice de la bienfaisance. Elle a pour principes la liberté absolue de conscience et la solidarité humaine. Elle n'exclut personne pour ses croyances. Elle a pour devise : Liberté, Égalité, Fraternité. » Cet article est encore - à peu de choses près - l'article 1 de la Constitution du GODF.
La suppression par le GODF de l'obligation de croire en l'existence de Dieu et en l'immortalité de l'âme a pour conséquences la rupture des relations entre la GODF et la Grande Loge Unie d'Angleterre ainsi qu'avec toutes les Grandes Loges reconnues par elle. La Franc-Maçonnerie américaine avait déjà - pour la presque totalité de ses Grandes Loges - rompue ses relations diplomatiques avec le GODF depuis le décret Mellinet du 5 novembre 1868 par lequel le GODF reconnaissait le Suprême Conseil de Louisiane.
C'est par ce Convent et après l'action de Frédéric Desmons que le GODF, coupé de ses relations internationales, allait recréer une alliances de Grands Orients dans divers autres pays (notamment la Belgique) qui ont la même conception que lui de la Franc-Maçonnerie. Une conception libérale de la Franc-Maçonnerie que le GODF qualifie lui-même d'adogmatique (merci à Philippe Guglielmi pour l'expression qui est aujourd'hui consacrée).
Ce n'est que plus tard que le GODF retirera de son papier à en tête comme de ses rituels l'expression "à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers". En 1877 il n'en fut point question. De plus à titre personnel, et celà est bien compréhensible en sa qualité de pasteur protestant (il l'était encore en 1877), Frédéric Desmons a toujours continué son oeuvre "à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers".
Le Grand Orient de France est actuellement en nombre d'adhérent(e)s la plus importante obédience maçonnique française.
Depuis plusieurs années le renouveau spirituel que nous pouvons constater dans toutes les obédiences maçonniques françaises touche également les loges du Grand Orient de France. Plusieurs travaillent actuellement à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers même si elles sont très minoritaires au sein de l'obédience: Certaines parce qu'elles travaillent au Rite Ecossais Ancien & Accepté, d'autres au Rite Français Traditionnel (Régulateur du Maçon), au Rite Ecossais Rectifié (RER) ou au Rite Anglais de Style Emulation.
Une loge du Grand Orient de France porte le titre de "Frédéric Desmons Laïcité".
Jean-Laurent Turbet
° Pour aller plus loin :
° Brignon veut faire revivre la mémoire de Frédéric Desmons, sur ce site.
° Chroniques d'Histoire Maçonnique N°66 : Spécial Frédéric Desmons, sur ce site.
Les éditions Théolib viennent de rééditer l'excellent ouvrage de Daniel Ligou intitulé "Frédéric Desmons et la Franc-Maçonnerie sous la IIIème République", dont je vous recommande vivement la lecture ! On y retrouve cette République radicale fondatrice de nos institutions républicaines et le rôle si particulier - dans l'espace et dans le temps - joué par la Franc-Maçonnerie et plus particulièrement par le Grand Orient de France, à cette période.
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
Je ne parle ni au nom d'une association, ni d'un parti, ni d'une loge, ni d'une obédience maçonnique.
Mes propos n'engagent que moi et non pas l'une ou l'autre de ces associations.
Je ne suis en aucune façon habilité à écrire au nom d'une association, d'un parti, d'une loge, d'une obédience maçonnique. Tout ceci pour que cela soit bien clair, qu'il n'y ait aucune ambiguïté de quelque nature que ce soit.
Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Bloc-Notes, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
Je rappelle simplement que la liberté d’expression est en France un droit Constitutionnel, quelle que soit notre appartenance à une association de quelque nature que ce soit.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
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