Je suis attristé et préoccupé que l'on utilise des armes pour réprimer les manifestations pacifiques du peuple tibétain, occasionnant de nombreux morts, blessés et arrestations. Aussi tragiques que regrettables, cette répression et ces souffrances ne peuvent qu'arracher des larmes de compassion à toute personne sensible. Je me sens toutefois impuissant face à ces tragiques incidents. Je prie pour tous les Tibétains, mais aussi pour tous les Chinois qui ont perdu la vie dans la crise actuelle.
Les protestations récentes dans l'ensemble du Tibet contredisent la propagande de la République populaire de Chine selon laquelle, hormis une poignée de "réactionnaires", la majorité des Tibétains jouissent d'une existence prospère et satisfaisante. Ces protestations ont montré à l'évidence que les Tibétains des trois provinces du Tibet – l'U-Tsang, le Kham et l'Amdo – entretiennent les mêmes aspirations et les mêmes espoirs. Ces protestations ont également fait savoir au monde entier que le problème du Tibet ne peut plus longtemps être ignoré.
Elles montrent qu'il faut trouver un moyen de régler le problème en "parvenant à la vérité à partir des faits". Il convient de souligner la bravoure et la détermination des Tibétains qui ont, dans l'intérêt de leur peuple et au risque de leur vie, fait part de leur profonde angoisse et exprimé leurs espoirs. La communauté mondiale a d'ailleurs reconnu et soutenu leur action courageuse.
J'apprécie l'attitude de nombreux fonctionnaires et cadres tibétains du Parti communiste qui, sans perdre leur identité tibétaine, ont fait preuve de cran et de droiture au cours de la crise actuelle. A l'avenir, j'en appellerai à ces cadres et fonctionnaires tibétains du parti afin qu'au lieu de poursuivre leur intérêt personnel, ils œuvrent à préserver l'intérêt général du Tibet en transmettant à leurs supérieurs dans le parti les véritables sentiments du peuple tibétain et en s'efforçant de le diriger de manière objective.
Des présidents, premiers ministres, ministres des affaires étrangères, lauréats du prix Nobel, parlementaires et citoyens concernés du monde entier adressent aujourd'hui aux autorités chinoises des messages clairs et forts afin qu'elles mettent un terme à la brutale répression qu'elles exercent à l'encontre du peuple tibétain. Tous cherchent à convaincre le gouvernement chinois d'emprunter une voie par laquelle une solution mutuellement satisfaisante puisse être trouvée.
TENIR À NOTRE PRATIQUE DE LA NON-VIOLENCE
Nous devons créer les conditions permettant à leurs efforts de déboucher sur des résultats positifs. Je sais que l'on vous provoque par tous les moyens, mais il est important de nous en tenir à notre pratique de la non-violence.
Les autorités chinoises ont lancé des allégations mensongères à mon égard, m'accusant d'avoir provoqué et orchestré les récents événements. Ces allégations sont infondées. J'ai appelé à plusieurs reprises à la constitution d'un organisme international indépendant et reconnu afin qu'une enquête minutieuse soit menée sur cette question. Je suis persuadé qu'un tel organisme indépendant saura faire surgir la vérité. Si la République populaire de Chine dispose du moindre élément ou de la moindre preuve susceptible d'étayer ses affirmations, elle doit les présenter au monde. Se contenter d'allégations ne suffit pas.
En ce qui concerne l'avenir du Tibet, je suis déterminé à rechercher une solution dans le cadre de la Chine. Depuis 1974, je suis resté sincèrement attaché à l'approche de la "voie du milieu", la seule susceptible de nous être mutuellement bénéfique. Le monde entier le sait. La "voie du milieu" consiste en ce que les Tibétains soient gouvernés par une administration qui jouisse d'une authentique autonomie régionale nationale avec toutes les garanties afférentes, c'est-à-dire l'autoadministration et la pleine capacité de décision, sauf en ce qui concerne les questions touchant aux relations avec l'étranger et à la défense nationale. J'ai toutefois toujours affirmé que ce sont les Tibétains vivant au Tibet qui, en dernier ressort, auront le droit de décider de l'avenir du Tibet.
L'accueil des Jeux olympiques cette année est l'objet d'une grande fierté pour le 1,2 milliard de Chinois. J'ai, depuis le début, approuvé l'organisation de ces Jeux à Pékin. Ma position sur cette question demeure inchangée. Je pense que les Tibétains ne devraient en rien entraver le déroulement des Jeux. Il est légitime que les Tibétains luttent pour leurs droits et leurs libertés mais, d'un autre côté, il serait vain et inutile de faire quelque chose qui suscite la haine dans l'esprit des Chinois. Au contraire, nous devons renforcer la confiance et le respect dans nos cœurs afin de créer une société harmonieuse, car nous n'y parviendrons pas par la force et l'intimidation.
Le combat que nous menons est dirigé contre quelques individus au sein du gouvernement chinois, et non contre le peuple chinois. Aussi, nous devons nous efforcer de ne jamais susciter de malentendus ni faire quoi que ce soit qui puisse heurter le peuple chinois. Même dans cette situation difficile, beaucoup d'intellectuels, d'écrivains, de juristes chinois vivant en Chine ou dans d'autres régions du monde ont sympathisé avec notre cause et nous ont fait part de leur solidarité en publiant des déclarations, en écrivant des articles et en nous exprimant un soutien qui nous va droit au cœur.
Si la situation actuelle au Tibet devait perdurer, je crains beaucoup que le gouvernement chinois ne décide d'employer une force encore plus brutale et d'accentuer la répression à l'encontre du peuple tibétain. En raison de mes obligations morales et de ma responsabilité à l'égard du peuple tibétain, j'ai demandé à de multiples reprises à la Chine de mettre un terme à la répression dans toutes les régions du Tibet et d'en retirer ses forces armées et sa police. Si mes démarches devaient donner des résultats, je conseillerais également aux Tibétains d'arrêter toutes les manifestations.
Je voudrais exhorter mes amis tibétains, qui vivent dans la liberté en dehors du Tibet, à être très attentifs à la manière dont ils expriment ce qu'ils ressentent sur les événements en cours au Tibet. Nous ne devons nous engager dans aucune action qui puisse, de près ou de loin, être interprétée comme une action violente. Même face aux provocations les plus manifestes, nous ne devons pas laisser compromettre les précieuses valeurs auxquelles nous sommes attachés. Je suis convaincu que nous l'emporterons en continuant de suivre la voie de la non-violence. Nous devons avoir l'intelligence de comprendre ce qui nous vaut l'amitié et le soutien sans précédent dont nous bénéficions.
Du fait que le Tibet est pour l'instant presque hermétiquement clos, et qu'aucun organe d'information international n'y est autorisé, je doute que mon message parvienne aux Tibétains qui y vivent, mais j'espère que, grâce aux médias et au bouche-à-oreille, une majorité d'entre vous en prendra connaissance.
Tenzin Gyatso est le quatorzième dalaï-lama et chef du gouvernement tibétain en exil en Inde.
Traduit de l'anglais par Gilles Berton © The Office of His Holiness the Dalaï-Lama
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