Le Grand maître du Grand Orient de France est venu inaugurer les tout nouveaux locaux situés au bord de l’Adour
La tradition du secret de la discrétion, préfèrent dire les francs-maçons ne s’efface pas d’un coup de
baguette magique. Les "frères" de la loge bayonnaise (La Zélée) du Grand Orient de France ne souhaitent ainsi pas que l’adresse de leur temple, flambant neuf, soit
divulguée. De même que des élus bayonnais invités pour l’inauguration samedi dernier, ne souhaitaient pas que les journalistes soient présents au moment de leur arrivée. Néanmoins,
Jean-Michel Quillardet, président (en jargon maçonnique, il est le Grand maître) du Grand Orient de France a fait le déplacement pour l’occasion, a tenu conférence publique dans
un auditorium de la CCI comble sur "le rôle de la maçonnerie au 21e siècle", a invité les journalistes à pénétrer dans les salles du nouveau temple pour affirmer son engagement en faveur de
"l’ouverture". "Je suis pour l’ouverture des temples, de même que j’encourage les frères à dire qu’ils sont francs-maçons il n’y a pas à en avoir honte." Cependant, il est contre le fait de
divulguer l’appartenance d’autrui s’il ne le souhaite pas. Un élan d’ouverture qui suscite une "inquiétude" chez certains frères qui sont davantage "pour une extériorisation limitée" en convient
l’avocat parisien J.M.Quillardet.
En marge de la conférence de presse du Grand maître, un maçon bayonnais justifiait cette "discrétion" notamment par le fait que le local qu’ils occupaient de manière transitoire à la Chêneraie
après le départ de la rue des Visitandines, avait été cambriolé plusieurs fois, avec un vandalisme délibéré à l’encontre des symboles maçonniques (équerre, compas, ¦il,... lire ci-contre). De
même que face à la position du président du GODF favorable à la mixité au sein des loges, ce même frère défendait l’envie de se réunir entre hommes, et que d’autres loges étaient mixtes, voire
uniquement féminine. La comparaison avec les sociétés gastronomiques de Donostia ne l’a pas dérangé. Pour des loges réellement universelles il faudra donc attendre encore un peu.
Le temple équipé de deux salles de réunion appartient donc à une SCI qui est une filiale du GODF de Paris. Ce sont environ 350 maçons et maçonnes de différentes obédiences qui s’y réuniront.
Outre la loge locale du Grand Orient de France issue de celle créée à Bayonne en 1743 par un Loichagaray d’une famille de commerçants basques installés à Orthez, s’y réuniront la loge de La
petite Jérusalem de Droit humain, l’étoile du Labourd de la Grande loge de France, la loge Stella Maris de la Grande Loge traditionnelle symbolique Opéra, la Grande loge féminine de France, la
Grande loge mixte de Menphis Misraïm, et le Grand Prieuré des Gaules signalons que la Grande loge nationale française dispose d’un temple qu’elle occupe seule à Saint-Esprit.
Mais ça sert à quoi la franc-maçonnerie? Jean-Michel Quillardet lui voit deux rôles. Le premier est celui d’une formation individuelle: "une tentative de s’améliorer", d’être plus "tolérant",
dans "le respect les différences", et de parvenir à avoir un "regard distancié des choses, non pas mou, mais d’avoir une vision plus complète, pour penser la complexité du monde". Une fonction
d’importance "dans un monde superficiel, dans une doxocratie (démocratie de l’opinion) où il y a finalement peu de grands débats". Une pensée résolument "contre le spontanéisme et l’instinctif".
Un club de réflexion en somme, mais avec toute une mise en forme et mise en scène proche de rituels religieux. Et, à la différence d’une secte, "on peut la quitter très facilement" explique un
frère bayonnais.
Quant au principe d’égalité pour les langues, J.M.Quillardet a déclaré que le GODF était "opposé à l’enseignement des langues
régionales". Vite après, le chargé de communication bayonnais précisait qu’il n’en était rien, mais qu’en fait le GODF s’était opposé en 1999 à la Charte européenne des langues régionales, "non
sur le fond mais sur la rédaction". L’art maçonnique de la nuance probablement.
De la symbolique maçonnique
Il est certain que durant les précédents siècles d’aucuns pouvaient aisément y voir des choses diaboliques. Un temple maçonnique a tout d’une église. La salle de réunion
dispose ainsi d’un autel, de sièges et de multiples objets symboliques. J.M. Quillardet a bien voulu faire une explication symbolique de ces objets. "Ce n’est pas un catéchisme" prévient d’emblée
le Grand Maître. L’¦il enserré dans un triangle ‹que l’on retrouve dans nombre de cultures et jusqu’à la BD‹ est ainsi, non pas Dieu, peut-être le GADLU, mais "l’¦il de la conscience". Le
triangle fait référence au fronton du temple de Salomon : "on reconstruit le temple, nous sommes des bâtisseurs". J.M. Quillardet auteur chez Marabout (!) de La franc-maçonnerie illustrée
ajoute que le triangle c’est aussi la thèse, l’antithèse et la synthèse, qui "réunit ce qui est épars". La corde avec des n¦uds qui fait le tour des quatre murs de la salle de réunion c’est "la
chaîne d’union". Les représentations du soleil et de la lune symbolisent le temple de l’univers qui va vers l’Orient, "on va vers là d’où vient la lumière, on sort de l’obscurité pour aller vers
la lumière". L’équerre et le compas rappellent que "nous sommes des géomètres, on essaie d’être rationalistes, on expérimente" indique le Grand Maître qui mentionne l’ouvrage de Claude Bernard
comme bréviaire. Un morceau de pierre brute posée près de l’autel représente la matière qu’il "faut que l’on travaille". Le chandelier à trois branches est quant à lui allumé "quand on ouvre les
travaux, on allume la force, la sagesse et la beauté". Quant au damier au sol, noir et blanc, "il faut s’en méfier". Ces éléments que l’on retrouve dans tout temple sont "une
poétique".
Combat pour la laïcité
Le deuxième rôle
serait celui du combat pour un certain nombre de valeurs. Le GODF qui a accompagné en France la Révolution et défendu l’installation de la République, se situe dans la permanence. J.M.Quillardet
a ainsi cité les Droits de l’homme, les libertés individuelles et publiques, la séparation de l’église et de l’Etat, la laïcité. Sur ce dernier point, le Grand Maître n’a pas manqué de manifester
son inquiétude sur les déclarations récentes du président de la République qualifiant les morales religieuses de supérieures, ou insistant sur les racines catholiques de la France. Un combat
d’actualité à une période où "l’obscurantisme augmente dans le monde". Et l’exemple cité, pour une fois, ne provient pas du monde arabo-musulman mais des Etats-Unis avec la diffusion, également
en Europe désormais, du créationnisme jetant la théorie darwinienne de l’évolution aux orties et replaçant Dieu à l’origine de tout.
Si la question de Dieu a présidé à bien des scissions au sein des loges, les maçons s’accordent néanmoins sur le Grand architecte de l’univers. Un
frère du GODF de Bayonne nous a précisé que l’on pouvait être athée et croire en ce GADLU. Le temps nous a manqué pour l’explication. Précisons que l’initiation pour être admis dans une loge dure
environ une année.
République Une et Indivisible
Le décorum ne laisse pas de doute. Nous sommes bien dans le saint des saints d’un temple de l’obédience du GODF. La devise Liberté égalité fraternité y est affichée, ainsi
qu’un buste de Marianne aux côtés d’un drapeau français. Les autres éléments le distinguent d’une simple mairie. Interrogé sur la question de la reconnaissance politique et territoriale de
nationalités, et plus prosaïquement sur la demande de référendum en cours sur le département Pays Basque, le Grand maître a déclaré que le GODF n’avait pas de position autre que celle du "respect
des minorités culturelles", tout en inscrivant son point de vue dans la tradition de "République une et indivisible". J.M.Quillardet a également souligné que les maçons développent l’idée que
l’on peut ranger dans celle d’un individu abstrait puisque c’est "une conception débarrassée des identités et des communautés d’appartenance". Surtout, le GODF s’oppose aux conceptions dites
communautaristes.
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