Michel Rocard s'en prend une nouvelle fois de façon virulente à l'ex-candidate Ségolène Royal.
Michel rocard est ancien premier ministre et député européen.
chers amis de Libération, votre une du 8 janvier «Gauche cherche leader» était drôle et bien venue. Mais si le crime de particide n’est pas encore défini dans le droit contemporain, il est bel et bien en train de se commettre. Votre une est un élément du massacre.
Le Parti socialiste est en très mauvaise santé, en fait en quasi-paralysie, et cela depuis longtemps, nous le savons tous. Le traitement que l’on fait de cette situation dépend bien sûr du diagnostic. Et le diagnostic, c’est que la crise était latente depuis longtemps, s’est lourdement aggravée sous le mandat de François Hollande, et ne doit pas grand-chose à son départ. Elle est due pour l’essentiel au fait que le PS n’est plus capable de tenir un discours cohérent. Il n’a pas fait l’analyse de ce qui distingue le capitalisme de plein-emploi et de croissance rapide que nous avons connu de 1945 à 1972 du capitalisme de croissance molle, de précarité et de chômage que nous connaissons aujourd’hui. Il ne sait pas non plus quoi faire de l’Europe, à propos de laquelle la déploration de la mort de l’Europe politique ne saurait remplacer l’analyse pourtant manquante du rôle possible de l’Europe telle qu’elle est devant la crise économique et financière qui nous menace.
L’absence d’un futur leader qui s’impose et la multiplication excessive des candidatures peu évidentes est le résultat mécanique de cette situation : puisqu’il n’y a pas de discours, il n’y a évidemment personne qui soit capable de le prononcer mieux qu’un autre !
Cette situation a une cause simple et évidente : l’obligation où le PS s’est mis lui-même de ne parler qu’à l’unanimité. Le droit du Parti aujourd’hui c’est que le PS ne peut parler que si pro-européens et anti-européens sont d’accord, et que si sont d’accord aussi ceux qui veulent rejeter l’économie de marché et ceux qui comme moi pensent que ce n’est ni possible ni souhaitable. On ne peut évidemment rien dire de clair et de convaincant sous une pareille condition.
Formellement, cette contrainte autoparalysante est le résultat de la tragique décision de synthèse prise par François Hollande à la fin du 74e congrès du Parti (au Mans), contre le gré d’ailleurs de la majorité de sa propre majorité. C’était perceptible au Mans : la base du Parti voulait des signaux clairs, et ne veut plus promettre des ruptures infaisables et conduisant nul ne sait où. Cette même majorité latente qui veut réformer pas à pas, en n’annonçant que ce qu’on peut faire, était également repérable à l’université d’été de La Rochelle.
Or il faut à cette majorité potentielle du temps et de la sérénité pour maîtriser les données de ces controverses et pour préparer des choix rugueux et conflictuels mais clairs sans lesquels la social-démocratie française est vouée à la disparition.
C’est une vieille histoire. Depuis l’avant-guerre, chaque fois que les socialistes français ont une lourde difficulté politique, ils préfèrent, au prix de l’indécision, chercher leur sauvegarde dans leur «unité» ou leur «rassemblement» plutôt que de choisir les décisions claires et conflictuelles qui seules peuvent illustrer une ligne politique praticable, audacieuse et responsable. L’accumulation de ces non-décisions sur des décennies est la cause de la crise actuelle, qui est intellectuelle plus que de leadership.
Or il y a autre chose. Choisir maintenant le candidat du Parti socialiste à l’élection présidentielle de 2012, avant que le Parti ne se soit reconfiguré pour définir et soutenir le discours, c’est offrir aux médias une cible magnifique pour quatre ans. Personne n’est capable de résister quatre ans au pilonnage multiquotidien qu’implique cette situation. A toutes nos élections présidentielles de la Ve République, tous ceux qui sont partis trop tôt ont toujours perdu : Poher, Chaban, Barre, moi-même, Balladur et Royal. Seul Sarkozy semble démentir la séquence, mais il a eu la chance stratégique d’alimenter médias et opinion, sur une autre bataille, celle de la direction de l’UMP.
Jouer explicitement ce jeu, c’est-à-dire pour le PS choisir son prochain premier secrétaire en pensant choisir du même coup son candidat présidentiel, c’est offrir un surcroît de chances à Ségolène Royal. Or le problème est que cette candidate avenante et charismatique n’a à l’évidence pas les capacités nécessaires aux responsabilités qu’elle postule. Elle représente une certitude de défaite, au prix en plus d’une très grave crise dans le Parti.
Personne d’autre n’est actuellement disponible. Il est essentiel que Delanoë s’occupe de Paris exclusivement et pour longtemps, il est acquis que Dominique Strauss-Kahn fait son métier à Washington et pour longtemps.
L’émergence d’un nouveau leader charismatique est possible, c’est même la solution la plus probable, mais il faut des années pour que le PS soit capable de définir et d’adopter un vrai projet social-démocrate qui supporte le discours et les mêmes années pour qu’émerge le meilleur avocat de ce discours. Telle est la situation de fait.
La survie du PS mais aussi et surtout la salubrité générale et la préservation des chances de notre candidat pour 2012 exigent donc impérativement que notre première décision, au 75e congrès, le prochain, soit l’annonce que nous choisirons notre candidat pour l’élection présidentielle de 2012 à l’automne 2011 et en aucun cas avant.
Cela veut dire que le prochain secrétaire général aura comme mandat dominant sinon exclusif d’amener le Parti à accoucher d’un projet, c’est-à-dire de piloter les débats en provoquant chaque fois que nécessaire les votes discriminants nous amenant vers un peu plus de cohérence et de clarté en confirmant la voie sociale-démocrate qu’ont déjà choisie tous nos autres partis frères du Parti des socialistes européens. Il nous faut là une personne soucieuse de vision mondiale, d’analyses économiques et stratégiques et surtout pas un débatteur médiatique.
Nous n’aurons donc pas - et c’est une précaution de survie que de ne pas le chercher - un premier secrétaire charismatique et volubile, élu pour briller dans la controverse verbale permanente avec le chef de l’Etat. Or ça n’a aucune importance. Il n’y a aucun moyen connu de mettre en cause l’ultra domination de Sarkozy sur la France avant les élections présidentielle et législatives de 2012.
Au contraire, c’est plutôt la réapparition d’une opposition cohérente, respectée, sûre de son projet, et clairement en phase avec ses alliés internationaux qui donnera du poids à la présence du PS dans les débats, même si son nouveau chef n’est pas candidat présidentiel et ne privilégie pas le duel personnel dans les médias.
Nous serons moins fringants et moins personnalisés, mais nous serons plus rigoureux parce que plus cohérents. Naturellement cela va manquer au monde des médias. Vous aurez moins de photos conflictuelles, d’occasion de titres vengeurs et de grands moments d’affrontements à l’image. Tant pis.
Les conditions de maintien en bon état des grandes forces démocratiques du pays sont absolument prioritaires sur la pérennisation d’un débat médiatique qui n’intéresse que vous et dont l’opinion commence à se lasser.
C’est d’autant plus important à gauche que les dernières élections ont sanctionné l’impuissance définitive du PC, des Verts et des trotskystes. Le PS reste seul. Nous sommes nombreux à savoir assez bien comment le faire rebondir. Mais nous avons besoin pour cela que vous nous compreniez, au lieu de nous casser le travail.
C’est pour cela que votre une pleine d’humour tombe si mal.
Désolé de vous le dire aussi fermement.
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