Nous pouvions penser que le mois d’août arrivant, l’été prenant ses droits, il allait souffler un air d’apaisement sur les prises de position des dignitaires du Grand Orient de France.
Visiblement il n’en ait rien. Le Grand Maître, José Gulino, récidive dans ses attaques et déterre plus que jamais la hache de guerre contre la Confédération maçonnique de France et charge, sabre au clair, contre la Grande Loge de France.
José Gulino voudrait brouiller à jamais les deux obédiences qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
Il convient de rappeler que, du côté de la Grande Loge de France et de la Confédération maçonnique de France, personne n’a jamais fait le moindre commentaire sur ce qui se passe depuis quelques années au Grand Orient de France, et jamais aucun responsable ne s’est permis de porter un jugement ou une appréciation sur le GODF et ses évolutions.
Depuis l’annonce des discussions concernant la Confédération maçonnique de France, toutes les attaques, sans exception, sont parties soit d’obédiences « alliées » du GODF (voir la récente position de la GLMF sur les intervisites), soit de dignitaires du GODF et depuis quelques semaines du Grand-Maître du GODF lui-même.
Tous les observateurs sentent bien là une escalade volontaire et organisée visant à tendre les relations (jusqu’à les rompre ?) entre le Grand Orient de France et la Confédération Maçonnique de France.
Mais reprenons simplement deux points de l’interview de José Gulino diffusée le dimanche 4 août 2013 dans le cadre du l’émission « Divers aspects de la pensée contemporaine » sur France Culture.
Une émission que vous pouvez écouter en intégralité ci-dessous :
Le Grand-Maître commence en déclarant que son obédience se porte très bien (il n’y a aucune raison d’en douter d’ailleurs) et il continue par une phrase qui peut légitimement étonner. José Gulino indique que le GODF compte aujourd’hui 52 000 membres (dont 2000 sœurs) répartis en 1215 loges. Et concernant le GODF il surenchérit en répétant : « Je tiens à le souligner, 1ère obédience française par sa taille, plus ancienne obédience française, 52 000 membres dont 2000 sœurs. la mixité s’installe dans notre obédiences sans heurts ni vague ».
Pourquoi tient-il donc à « souligner » le chiffre de 52 000 membres ? Parce que, tout le monde l’aura bien compris, il ne s’agit pas d’un chiffre statistique mais d’un chiffre politique.
Le Grand Orient de France ne peut pas être autre chose, dans l’esprit de José Gulino que « la 1ère obédience française », puisque c’est son principal « atout » vis-à-vis de l’extérieur. Perdre la 1ère place en terme d’adhérent(e)s, que le GODF a toujours eu en France, est tout bonnement inconcevable.
Or, la Confédération Maçonnique de France a annoncé au mois de juin 2013 (sans dire évidemment « nous sommes la 1ère obédience maçonnique française », puisque cela n’a aucune importance pour elle), qu’elle rassemblait « 51 000 Frères travaillant dans 1800 Loges et pratiquant six Rites maçonniques selon les principes traditionnels de la Franc-Maçonnerie spiritualiste ».
Le chiffre « improbable » de 52 000 frères et sœurs au GODF.
Le GODF devait donc annoncer un chiffre… supérieur à 51 000 ! Ce qui est fait…
Ce qui fait penser qu’il s’agit d’un chiffre politique plutôt que d’un chiffre réel c’est… la lecture des documents du GODF lui-même. Le rapport du Conseil de l’Ordre 2012 (page 9 sur 72) dans un tableau très complet et détaillé région par région fait un total précis de 48 479 frères et sœurs au GODF en 2012.
Reprenant les chiffres du GODF lui-même, j’indiquais dans un article publié le 28 juillet 2012 que « Au 31 décembre 2011, le GODF comptait 48 479 sœurs et frères répartis au sein de 1184 loges. Il y avait 5 916 Apprentis(es), 4 243 Compagnons et 38 320 Maîtres.
L’âge moyen des francs-maçon(ne)s du GODF est de 57 ans et demi, il est de 44 ans et demi au moment de leur initiation.
Le Grand Orient de France a ouvert la possibilité à ses loges d'initier des femmes et d'affilier des sœurs. Au 31 mars 2012, le Grand Orient de France comptait 233 sœurs initiées et 171 affiliées. 51 sœurs sont candidates à l’affiliation et 228 profanes le sont à l’initiation, dans 200 loges »
683 sœurs étaient donc membres du GODF ou en passe de l’être il y a un peu plus d’un an. José Gulino en annonce 2000 comme membres aujourd’hui (soit + 1318 sœurs en un an). Cela peut sembler beaucoup mais cela parait plausible tant le GODF, par sa réelle force d’attraction (il faut reconnaître ce qui est), « assèche » littéralement le recrutement féminin des autres obédiences mixtes françaises.
Mais pour atteindre les « 52000 membres » il aurait fallu qu’en plus des 1313 sœurs, il y ait, en solde net (c’est-à-dire après les décès, radiations, démissions…) plus de 2300 hommes supplémentaires.
Tous sexes confondus, un solde net de + 2000 membres en un an serait déjà du jamais vu… Mais + 3521 membres (en solde net) comme annoncé par José Gulino… Disons que cela peut prêter simplement à sourire…
Mais le plus atterrant est à suivre, tant dans le fond que dans la forme, mais aussi par les termes employés.
Daniel Morfouace reprend après le Grand-Maître qui indique que le GODF est la plus ancienne obédience française : « La plus ancienne et la seule continuatrice de la maçonnerie des origines qui s’installe fin 17ème début 18ème en France, de cette obédience qui, faute de dénomination officielle les historiens nomment la première Grande Loge de France ».
José Gulino poursuit : « La Grande Loge de France dite primitive, pour la distinguer « du reste », a été créée en 1728 et est morte en 1773 sans autre filiation que le GODF, c’est-à-dire notre obédience. Notre obédience s’est créée sur les cendres de cette Grande Loge Primitive après la scission de Clermont. Nous sommes donc les seuls légitimes à dire que nous avons une filiation remontant à 1728.
D’autres obédiences revendiquent également cette filiation mais les historiens qui épluchent, analysent toutes les données historiques confirment cette analyse ».
Et Daniel Morfouace de conclure : « Il ne faut pas mélanger Grande Loge Primitive et Grande Loge « quelle qu’elle soit », contemporaine ».
Fermez le ban.
Evidemment, le Grand-Maître fait ici clairement allusion au fait que la Grande Loge de France revendique également la filiation avec la première Grande Loge, non pas en général appelée « primitive », sauf sous la bouche de José Gulino, mais « de Clermont » du nom de son Grand-Maître, le Comte de Clermont, mort en 1771.
Il est vrai qu’il y a eu un grave conflit à la Grande Loge après la mort du Comte de Clermont. Mais lorsque le GODF s’est constitué en 1773, dans le même temps la Grande Loge poursuivait ses travaux avec un nombre important de loges. Elle n’est donc pas morte et ses membres se sont même appelés ensuite « vrai Grand Orient de France ».
Comme il est justement écrit sur l’article Wikipédia concernant la Grande Loge de France :
« À partir de 1760, la Grande Loge fera face à une série de scissions qui s'interrompra brièvement de 1763 à 1766 avant de reprendre puis d'aboutir en 1773, deux ans après le décès du Grand Maître le comte de Clermont, à la séparation entre deux entités principales:
- Une obédience nationale, majoritaire, aristocratique, fortement centralisée, qui prendra le titre de Grand Orient de France et confiera sa Grand-maîtrise à Louis Philippe d'Orléans (1747-1793). Sous l'impulsion du duc de Luxembourg, substitut du grand-maître, elle adopte différentes réformes, dont l'élection des vénérables maîtres de loge, la mise à l'écart des « gens de condition servile », et l'interdiction de réunir les loges chez des traiteurs ou dans des locaux profanes.
- Une « Grande Loge de Clermont » (du nom du grand-maître décédé en 1771), de direction beaucoup moins aristocratique et réunissant la majorité des Maîtres de loge parisiens et une cinquantaine de loges de province qui leur étaient restés fidèles. Elle conserve les usages précédents, en particulier l'inamovibilité des Vénérables, mais n'est guère en mesure de résister à la puissance du Grand Orient qui permettra aux loges initialement récalcitrantes de le rejoindre jusqu'en janvier 1777.
La Révolution française contraint la « Grande Loge de Clermont » à suspendre ses travaux en novembre 1792. Lorsqu'elle les reprend après la Terreur, le 17 octobre 1796, elle ne compte plus que 10 loges à Paris et 8 en province. Le Grand Orient de son côté, réunit le 24 février 1797, n'en compte pas davantage alors qu'il en comptait plus de 600 à la veille de la Révolution. Cette situation amène les deux obédiences à fusionner le 22 juin 1799 après avoir signé un concordat prévoyant l'abrogation définitive de l'inamovibilité des offices moyennant la possibilité pour les Vénérables qui n'avaient pas encore renoncé de conserver pendant encore neuf années la direction de leur loge ».
Oui, l’obédience moins aristocratique se maintiendra jusqu’en 1799 ! D’ailleurs si elle ne s’était pas maintenue il n’y aurait pas eu besoin d’un acte d’Union en 1799, CQFD.
La différence avec le GODF, c’est que la Grande Loge de France ne dit pas « être la seule » a avoir une filiation avec la Grande Loge de Clermont. Seul le GODF a cette vision exclusive qui est historiquement fausse, ou du moins qui fasse débat. Et que les historiens – comme des professeurs ou des agrégés d’Histoire – se penchent en effet sur cette histoire sera un bien.
L’Histoire sert ici clairement à instrumentaliser le présent…
Mais ce n’est pas cela qui choque le plus.
C’est l’incapacité tant pour Daniel Morfouace que pour José Gulino de dire simplement « Grande Loge de France » ou même « l’actuelle Grande Loge de France ».
Lorsque José Gulino dit tout à fait sciemment « La Grande Loge de France dite primitive, pour la distinguer « du reste », a été créée en 1728 et est morte en 1773 », mais qui est donc « le reste » ?
Pour lui il y a le GODF et « le reste ». Jamais un Grand-Maître en exercice n’avait employé une formule aussi méprisante pour qualifier les frères de la Grande Loge de France.
Pour être correct il aurait simplement suffit de dire « La Grande Loge de France dite primitive, pour la distinguer de la Grande Loge de France actuelle ».
Mais le plus grave c’est que « le reste », ce sont également toutes les autres obédiences
Jamais d’ailleurs un Grand Maître en exercice n’avait non plus contesté avec autant de force une légitime revendication d’une obédience « amie », la Grande Loge de France.
Considère-t-il d’ailleurs toujours la Grande Loge de France comme un obédience amie ? Il faudrait le lui demander. Comme une obédience « légitime », il vient de dire que non.
Ce n’est plus un pas qui est franchi c’est une tranchée qui se creuse.
Et Daniel Morfouace en conclusion enfonce bien le clou : « Il ne faut pas mélanger Grande Loge Primitive et Grande Loge « quelle qu’elle soit », contemporaine ».
Evidemment « chez Daniel » il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, ni le GODF avec la Grande Loge « quelle qu’elle soit » : Cette Grande Loge quelle qu’elle soit a également un nom, elle s’appelle la Grande Loge de France.
Là encore pour être correct il aurait suffi que Daniel Morfouace dise « Il ne faut pas confondre Grande Loge Primitive et Grande Loge de France actuelle ».
Le diable se niche toujours dans les détails. L’angle d’attaque choisi, les termes employés, ne font que traduire et surtout mettre en lumière la condescendance, le mépris et le dédain, dans lequel José Gulino et Daniel Morfouace tiennent la Grande Loge de France, son histoire, ses traditions.
Le seul souci, c’est que José Gulino est le Grand-Maître du Grand Orient de France en exercice. Jamais un Grand-Maître de la Grande Loge de France n’a employé (et je suis sûr n’emploiera) ces mots pour qualifier les frères du Grand Orient de France. Les frères du GODF ne sont pas « le reste », ce sont nos frères.
Lorsque le respect et la considération se perdent, et donc toute trace d’une moindre élémentaire fraternité, l’irréparable n’est pas loin…
Gageons qu’après l’épisode désastreux de cette année écoulée (le Manifeste qui fait pschitt, la lettre au pape, la lettre à Hollande, les oukases envers les autres obédiences, l'expulsion des frères de la GL-AMF), le Grand Orient de France saura se ressaisir et retrouver le chemin de la Fraternité.
Gageons que le nouveau Grand-Maître élu lors du prochain Convent du GODF saura trouver les mots pour réparer les affronts et les injures subis.
Gageons qu’il saura trouver les mots pour panser les plaies béantes qui sans cela ne cicatriseront pas.
Que ce soit Alain Simon ou David Keller (qui d’outsider en mai fait aujourd’hui quasiment figure de favori tant les ralliements à sa candidature très active sont nombreux), le prochain Grand-Maître aura la responsabilité historique de trouver les mots pour réparer les outrages.
Nous saurons le 1er septembre 2013 au soir s’il les a trouvés. Nous l’espérons tous, car après il risque bien d’être trop tard…
Jean-Laurent Turbet
° Pour aller plus loin :
° L’Oukase de l’oncle José. Ou les rodomontades pré-conventuelles du GM du GODF, sur ce site
° GODF : Les enjeux importants du Convent de septembre 2012 à Nice, sur ce site.
° Divers aspects de la pensée contemporaine de José Gulino , sur le site du Blog Maçonnique de Jiri Pragman.
coucou
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
Je ne parle ni au nom d'une association, ni d'un parti, ni d'une loge, ni d'une obédience maçonnique.
Mes propos n'engagent que moi et non pas l'une ou l'autre de ces associations.
Je ne suis en aucune façon habilité à écrire au nom d'une association, d'un parti, d'une loge, d'une obédience maçonnique. Tout ceci pour que cela soit bien clair, qu'il n'y ait aucune ambiguïté de quelque nature que ce soit.
Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Bloc-Notes, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
Je rappelle simplement que la liberté d’expression est en France un droit Constitutionnel, quelle que soit notre appartenance à une association de quelque nature que ce soit.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
Commenter cet article