Qui se souvient encore de la Conférence d'Evian, organisée en 1938 par le président américain Franklin Delano Roosevelt pour tenter d'aider les juifs allemands et autrichiens après l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne (l'Anschluss) de mars 1938.
Les juifs sont persécutés en Allemagne depuis l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933 mais surtout depuis les lois de Nuremberg de juillet 1935 (la Reichsflaggengesetz (loi sur le drapeau du Reich) ; la Reichsbürgergesetz (loi sur la citoyenneté du Reich) ; la Gesetz zum Schutze des deutschen Blutes und der deutschen Ehre (loi sur la protection du sang allemand et de l'honneur allemand)).
Beaucoup de juifs allemands sont partis entre 1933 et 1938, mais la grande majorité est encore prise au piège en Allemagne. Roosevelt se dit que la situation ne peut encore qu'empirer avec l'Anschluss.
Quelques explications préalables :
L'Anschluss :
Les troupes de la Wehrmacht entrent en Autriche le 12 mars 1938 pour mettre en œuvre l’annexion, sans rencontrer la moindre opposition. Au cours du mois suivant, les nazis organisent un plébiscite, demandant au peuple de ratifier le rattachement de l’Autriche au Reich, qui, de facto, a déjà eu lieu : 99 % des votes sont favorables à l'annexion.
La situation des juifs en Allemagne et en Autriche en 1938 :
En juin 1933 la communauté juive d’Allemagne comptait 505 000 personnes sur 67 millions d’habitants soit un peu moins de 0,75% de la population. Ce chiffre montrait une baisse par rapport à janvier 1933 car le nombre de Juifs vivant en Allemagne était alors estimé à 523 000.
Cette baisse était due en partie à l'émigration qui suivit la prise du pouvoir par les nazis en janvier. On estime que 37 000 Juifs émigrèrent d'Allemagne en 1933. En 1938, un quart de la population juive, soit environ 150 000 personnes avaient déjà quitté l'Allemagne ou l'Autriche, selon l'Encyclopédie de la Shoah.
En Autriche il y avait (selon diverses estimations) entre 192 000 et 200 000 juifs en 1938.
En juillet 1938, lorsque s'ouvre la Conférence d'Evian il y a donc environ 400 000 juifs allemands et autrichiens à sauver (je ne sais pas les chiffres exacts...).
Puisque les Etats-Unis ne sont pas membre de la Société des Nations, Franklin D. Roosevelt souhaite organiser une conférence d'abord en Suisse - qui refuse - et enfin en France au bord du Lac Léman.
Le sujet : que faire des juifs menacés dans le Reich hitlérien ? Car les Etats-Unis ont décidé d'une politique de quotas en matière d'immigration et seuls 150 000 visas sont délivrés par an et 27 000 pour les allemands et les autrichiens (juifs ou non).
Les Etats-Unis seuls ne peuvent (et ne veulent pas non plus) donc pas accueillir la grande majorité des 400 000 juifs à sauver.
Adolf Hitler, apprenant l'organisation de cette conférence déclare qu'il est prêt à laisser partir tous les juifs vers les pays qui souhaiteraient les accueillir et que, même, il était prêt à "leur payer le voyage en 1ère classe".
La conférence d'Evian :
La Conférence d'Évian se déroule du 6 juillet au 16 juillet 1938 à Évian (France).
Son but était de venir en aide aux juifs allemands et autrichiens qui veulent le nazisme, peu après l'Anschluss.
Cordell Hull, le secrétaire d'Etat américain responsable de la conférence, indique avec prudence (sinon personne ne serait venu !) qu'aucun des pays participants à la conférence ne sera dans l'obligation de recevoir de réfugiés.
Partant de là, trente-trois pays seront invités. L'Italie fasciste de Benito Mussolini refuse de venir, par solidarité avec Hitler. L'URSS bolchévique de Staline décline de même l'invitation. La Hongrie, la Pologne, la Roumanie et l'Afrique du Sud n'envoient que des observateurs.
32 délégations sont présentes, 9 européennes, 20 latino-américaines et 3 du Commonwealth. Il faut le dire, elles sont venues souvent à reculons.
Certaines organisations non gouvernementales, en majorité juives, sont autorisées à assister à la conférence mais ne pourront assister qu'aux séances publiques.
Elles seront entendues lors d'une sous-commission pour expliquer leur point de vue.
Golda Meir, future Premier ministre d'Israël, est la représentante de l'Agence juive. Dans ses mémoires celle-ci dira (citée par Marcel Bervoets : la liste de St Cyprien - ed Alice 2006 page 42) :
« Être assise dans ce hall magnifique et devoir écouter chacune des trente deux nations se lever tour à tour pour expliquer combien elles étaient affligées par le sort des malheureux juifs persécutés et combien elles auraient tellement voulu leur venir en aide mais qu'à leur grande tristesse elles ne voyaient vraiment pas comment faire pour intervenir, est une expérience terrible et il m'est difficile d'exprimer la colère , la frustration et l'horreur qui m'ont envahie.»
Toujours selon Marcel Bervoets la majorité des intervenants avaient éviter de mentionner les juifs pour ne parler que de "réfugiés politiques" et à aucun moment il ne fut fait allusion à la politique répressive de l'Allemagne.
En fait, tous les pays présents expliquent chacun à leur tour pourquoi ils ne peuvent pas recevoir plus de monde.
La Suisse estime avoir déjà accueilli de nombreux réfugiés et vient de rétablir les visas.
Le Royaume-Uni refuse de délivrer des autorisations vers la Palestine sous prétexte que les tensions entre migrants juifs et Arabes deviendraient violentes.
« J’ai le privilège de recevoir sur la terre de France, terre d’asile et de libre discussion, le comité intergouvernemental pour les réfugiés qui a répondu à un appel émouvant. La France reste ainsi fidèle à ses traditions les plus anciennes d’hospitalité universelle », déclare le délégué français Henri Bérenger qui ajoute « contribuer dans la limite de ses moyens » à l’arrivée massive de réfugiés, bien que la situation soit arrivée « au point extrême de saturation ».
Il ajoute que la France « abrite, à titre légal ou clandestin, 20.000 à 30.000 réfugiés du Reich secourus très souvent par des œuvres d'assistance submergées, généralement juives elles aussi. »
Bref, en vrai la France non plus ne fera pas plus.
Toutes les déclarations qui se succèdent vont dans le même sens et certaines sont même encore plus violentes.
Canberra affirme que « n'ayant aucun réel problème racial en Australie nous ne sommes pas désireux d’en importer en encourageant une large immigration étrangère ».
Quant au délégué canadien, interrogé sur le nombre de réfugiés juifs que son gouvernement envisage d’accueillir, il répond : «Un seul serait déjà trop ».
Les délégués expriment les uns après les autres leur compassion envers les réfugiés. Toujours la compassion évidemment. Et l'Humanisme.
Si chacun des pays avaient pris les juifs en part égale cela aurait fait 12500 juifs par pays. La France n'aurait pas pu accueillir 12 500 juifs ? où même 30 000 ? En 1938 ? Allons donc (d'ailleurs elle "accueillera" dans la difficulté 450 000 réfugiés espagnols début 1939 - Ah oui mais eux - bien que "rouges" - ils étaient chrétiens "comme nous" ...).
Vous l'aurez compris, tous les pays, y compris les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, invoqueront diverses raisons pour ne pas accepter davantage de "réfugiés". En vrai, pas d'avantage de juifs.
Ces raisons concernant les juifs sont toujours les mêmes dans tous les pays, donc prenons le cas de la France :
- C'est la crise (il y a eu la crise de 1929...).
- La France ne peut plus accueillir d'autres réfugiés car elle en accueille déjà beaucoup.
- Il faut réserver l'aide sociale aux nationaux ou aux réfugiés déjà accueillis.
- Il y a un fort antisémitisme en France, surtout depuis les affaires Dreyfus et Stavisky.
- Il y a déjà de nombreux réfugiés juifs.
- Ils ne sont pas chrétiens.
- Ils n'ont pas les mêmes coutumes alimentaires (ils ne mangent pas de porc etc...).
- Ils ont une religion très contraignante (multiples fêtes, pratiques religieuses importantes).
- Ils ne parlent pas le français.
- Ils ne connaissent pas la France, ses coutumes.
Bref, en un mot on ne peut pas accueillir ces juifs car ils ne sont pas intégrables...
Evidemment toute ressemblance avec des événements qui se produiraient de nos jours est totalement fortuite et indépendante de notre volonté....
Comme vous l'aurez compris cette conférence ne servit à rien... ou presque... Quelques centaines de juifs furent dispersés dans plusieurs pays.
Et l'on va créer l'office des réfugiés qui deviendra après la guerre le HCR.
Hitler quand à lui triomphe : "Personne n'en veut !" s'exclame le dictateur nazi. Et la presse nazie relate à longueur d'articles enthousiastes l'échec de la conférence.
Le Führer a raison : personne ne veut de ses juifs, des juifs allemands ou autrichiens. Au-delà des paroles convenues il n'y a aucun acte tangible ! Personne ne les accueille.
Maintenant il le sait : personne ne lèvera le petit doigt pour sauver les juifs. Il s'en doutait car il y avait déjà eu peu de réactions après les lois de Nuremberg en 1935. Mais maintenant il le sait.
Il va lâcher les chiens trois mois plus tard : dans la nuit du 9 au 10 octobre 1938, cette nuit appelée "La Nuit de Cristal" des pogroms sans précédents ont lieu dans le Reich après l'assassinat du 1er secrétaire de l'ambassade d'Allemagne à Paris par un jeune juif polonais d'origine allemande réfugié à Paris, Herschel Grynszpan, âgé de 17 ans.
Et là encore, rien de concret pour sauver les juifs allemands et autrichiens, mis à part les déclarations outragées des chancelleries... mais qui ne tirerons aucune conséquences de ces déclarations. Allons-nous accueillir plus de juifs après la Nuit de Cristal...? Evidemment non.
Et lorsqu'Hitler déclenchera la Solution Finale, il aura toujours en tête sa phrase de 1938 : Personne n'en veut ! Personne ne tentera de sauver les juifs de la mort.
Nous n'avons pas aujourd'hui de réponses concrètes à apporter aux déclaration des délégués des différents pays de la conférence d'Evian : Nous ne savons pas si ces juifs allemands qui n'avaient pas la même religion que la majorité des français, qui ne parlaient pas français, qui ne mangeaient pas comme nous, qui ne connaissaient pas nos habitudes de vie, nous ne savons si ces juifs se seraient bien intégrés. Nous ne le savons pas, parce qu'ils sont tous morts.
Tout cela m'est revenu en mémoire lors de la signature du « Pacte de Marrakech », il y a peu, en décembre 2018.
Lorsque j'ai entendu les cris d'orfraie des "humanistes" qui trouvent toujours de bonne raison d'expliquer pourquoi nous ne pouvons pas accueillir des personnes en détresse qui risquent la mort.
Les racistes déclarés paradoxalement me gênent moins : ils crache à la figure leur haine de l'autre. Ils n'en veulent pas viscéralement. Mais ils agissent à visage découvert.
Mais ceux qui m'insupportent le plus c'est ceux qui - tout en disant qu'à la limite "ils en accepteraient bien quelques uns, si..." - donnent ensuite toutes les raisons de le terre pour n'en accueillir aucun : parce qu'il y a la crise, parce que les français ne comprendraient pas, parce que les autres pays européens les rejettent, parce qu’ils sont d'une autre religion (en espèce majoritairement l'Islam), parce qu’ils ne sont pas intégrables...
Mais ce pacte nous oblige-t-il à accueillir "tous les migrants de la terre". Non.
(Malheureusement) il est bien plus modeste que ça.
Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (dit « Pacte de Marrakech », en abrégé PMM) est un pacte mondial de l'Organisation des Nations unies visant à « couvrir toutes les dimensions de la migration internationale ».
Il est formellement adopté le 19 décembre 2018 par l'Assemblée générale des Nations unies.
Appartenant à la catégorie du droit mou, il n'est pas juridiquement contraignant, mais des spécialistes soulignent qu'il pourrait avoir des conséquences en terme de responsabilité internationale.
Il s’agit d’un document de quarante et une pages, qui fixe vingt-trois objectifs pour « améliorer la coopération en matière de migrations internationales », accompagnés de mécanismes de suivi des mesures à toutes les étapes :
- mieux connaître les flux au moyen de collectes de données précises ;
- en amont, lutter contre les « facteurs négatifs et les problèmes structurels » qui poussent les individus à quitter leur pays ;
- rendre plus accessibles les filières légales de migration, fournir des preuves d’identité à chacun, « veiller à l’invariabilité et à la prévisibilité des procédures migratoires » ;
- rendre les périples migratoires moins dangereux, « sauver des vies » par une action internationale coordonnée, lutter contre les passeurs et la traite des personnes ;
- mieux gérer les frontières, limiter le recours à la rétention administrative, renforcer la coopération consulaire ;
- une fois les migrants arrivés dans un pays, leur assurer des services de base, les moyens de s’intégrer, reconnaître leurs qualifications et éliminer toutes les discriminations ;
- permettre aux migrants de contribuer au développement de leur pays d’origine, simplifier les envois de fonds, faciliter leur retour en assurant la portabilité de leurs droits.
Mais, dès le préambule, le pacte précise qu’il établit « un cadre de coopération juridiquement non contraignant, qui repose sur les engagements convenus par les Etats membres » et qu’il « respecte la souveraineté des Etats et les obligations que leur fait le droit international ».
Concrètement, cela signifie que chaque pays, même s’il signe ce texte, pourra continuer de facto à mener une politique qui y est contraire sans encourir aucune sanction.
Il s’agit d’un instrument de soft law, que l’on peut traduire par « droit souple » ou « droit mou » : un texte qui ne s’accompagne pas de contraintes, mais qui a une valeur symbolique, en fixant des recommandations pour changer les comportements.
Et dire que pour certains ici, chez nous, en France, en 2019 le « Pacte de Marrakech » c'est déjà trop !!
Quand je repense à la Conférence d'Evian de 1938 je dis simplement : Honte à vous ! Shame on You . .
Mais rassurez-vous, vous qui trouvez toujours d'excellentes raisons pour repousser au loin vos frères en humanité. C'est vous qui aurez toujours raison à la fin, quoi qu'il arrive.
Car dans quelques années, nous ne sauront pas si ces migrants qui vous font si peur sont ou nous intégrables. Même si nous en "prenions" une infime partie. Nous ne pourrons jamais contredire vos arguments de rejet de l'autre (toujours étayés par le plus grand humanisme et la plus grande compassion, comme les délégués de 1938 à Evian).
Nous ne saurons jamais, mes amis, si ces migrants auraient ou non été intégrables, parce que dans quelques années, mes amis, ces migrants, ils seront tous morts.
Jean-Laurent Turbet
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Evian 1938, la Conférence de la peur
Devant le drame vécu par tous les persécutés du régime nazi, Franklin D.Roosevelt décide d'organiser une conférence internationale à Evian-Les-Bains.
https://www.filmsdocumentaires.com/films/1840-evian-1938-la-conference-de-la-peur
1938, conférence d'Evian : quand les réfugiés juifs furent abandonnés
Mars 1938. L'Allemagne annexe l'Autriche. C'est l'Anschluss. S'en suit une vague de réfugiés, juifs autrichiens notamment. Mais où fuir alors que les Etats-Unis ne délivrent que très peu de vi...
Le texte du Pacte de Marrakech
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
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Je ne suis en aucune façon habilité à écrire au nom d'une association, d'un parti, d'une loge, d'une obédience maçonnique. Tout ceci pour que cela soit bien clair, qu'il n'y ait aucune ambiguïté de quelque nature que ce soit.
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Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
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