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Le Blog des Spiritualités

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Comprendre le hassidisme

Publié par Jean-Laurent Turbet sur 19 Janvier 2006, 23:31pm

Catégories : #Judaïsme

A lire dans le numéro du Monde des Livres la semaine dernière : la très belle critique par Dominique Bourel du livre "LA NAISSANCE DU HASSIDISME. Mystique, rituel et société, XVIIIe-XIXe siècle" de Jean Baumgarten (Albin Michel, 652 p., 27 €. )?

En voici des extraits :

Nous avons tous rencontré à Paris, New York, Jérusalem ou Anvers ces pâles figures vêtues de longs caftans, chapeautées de noir ou de fourrure, avec des papillotes le long d'un visage souvent émacié et toujours livide. Elles semblent sorties d'un roman d'Isaac Bashevis Singer ou d'une toile de Marc Chagall, en tout cas d'un monde révolu. C'est précisément à cet autre monde que Jean Baumgarten — après Jean de Menasce, Martin Buber et Elie Wiesel — consacre cette somme où l'érudition le dispute à l'élégance, frottée aux grandes bibliothèques de notre planète, lui qui a arpenté les chemins de ces fous de Dieu à Jérusalem et dont il connaît les moindres oratoires. Voici un livre fondamental pour comprendre un phénomène fascinant de l'histoire religieuse européenne : une petite confrérie mystique née en Pologne au milieu du XVIIIe siècle est aujourd'hui une des forces majeures de l'ultraorthodoxie juive de notre monde. La question est la suivante : comment une religion négocie-t-elle l'entrée dans le monde moderne, celui de la subjectivité reine et de l'universalité de la raison ?

Des Hassidim à Jérusalem, 1991. | ABBAS/MAGNUM PHOTOSLe mouvement a été fondé en Ukraine par un mystique, Israel Baal Shemtov, "le Maître du Saint Nom", appelé tout simplement le Besht (1700-1760). Un hassid, c'est un homme pieux, un fervent qui veut transfigurer son existence en prière et être l'acteur de la renaissance de sa vie par-delà les autorités officielles. Les hassidim partiront très tôt et régulièrement en Palestine. Le Besht n'a rien écrit et ce sont ses disciples qui publièrent ses dits. De même pour son arrière-petit-fils, le célèbre Nahman de Bratzlav (il meurt en 1810), sorte d'anarchiste religieux dont les disciples, les Bratzlaver, sont si actifs de nos jours. C'est un des rares rabbins dont nous possédons une belle biographie en français (Un maître tourmenté, d'Arthur Green, Albin Michel, 2000).

La réaction des opposants ne se fit pas attendre, organisée d'abord par Gaon de Vilna (1720-1797), un des plus grands érudits de son temps. Jusqu'à aujourd'hui, on repère sans difficulté l'abîme qui sépare ces adversaires. En effet, ces hassidim ont parfois de très mauvaises lectures, kabbalistes par exemple ! Gershom Scholem s'en fit naguère le subtil exégète. Avec Shneur Zalman de Lyadi (1745-1813) et son manuel d'éthique tout autant que somme mystique, le Tanya (1813), nous aurons une approche un peu plus intellectuelle. On commence à fulminer des anathèmes (en 1772 puis en 1781) et même à brûler quelques livres. L'Europe orientale juive s'embrase alors que les juifs, en France, entrent à l'Ecole polytechnique et que leurs homologues allemands s'installent dans les universités.

Le judaïsme officiel n'est pas en reste. Bref, ces hassidim auront à peu près tout le monde contre eux : les rationalistes s'en moquent, les rabbins les attaquent et les gouvernements condamnent toutes les sectes. Les grands historiens eux-mêmes, Heinrich Graetz et Gershom Scholem, sourient aux "rasades d'eau-de-vie" qui aident à se rapprocher de Dieu et méprisent ces contes "de bonnes femmes". Comment peuvent-ils comprendre que le judaïsme se recompose sous leurs yeux, non seulement dans une autre pensée, qui va subvertir la tradition, mais encore avec d'autres configurations sociales. Au centre de la communauté se tient désormais le Juste, le tsadik, maître d'un nouveau savoir qui se diffuse, s'imprime et se répand comme une traînée de poudre. Les rebbe sont des sages, des maîtres, des intercesseurs. Ils possèdent un pouvoir miraculeux. Ne prétendent-ils pas avoir vaincu Napoléon, qui n'a pu conquérir la Russie ? Partout où ils s'installent, c'est "une étincelle de sainteté implantée en milieu profane", dit joliment Baumgarten.

Ces pouvoirs de thaumaturge, d'exorciste, de guérisseur, comme leur rôle charismatique quasi chamanique, défient l'exégèse rationnelle. Il faut dire que la ferveur s'exerce : Menahem Mendel de Peremyshlany a passé douze ans silencieux et Menahem Mendel de Kotsk restera vingt ans enfermé, seul, dans une petite pièce. A l'opposé, Israël de Ruszhin vit dans un palais avec une véritable cour, car la rédemption commence dans ce monde et que cette cour est l'image de celle du ciel ainsi que celle de l'organisation du peuple d'Israël autour de la Torah. Du coup, fils, gendre, neveu, tout est bon pour s'inscrire dans une généalogie croyante qui flirte parfois avec l'hérésie. Des dynasties quadrillent désormais l'Europe orientale, tissant un réseau de foi et de pratique nullement réductible à un système philosophique. Des centaines de rabbins se citent, se répondent et racontent des histoires dans une géographie aujourd'hui largement imaginaire. Qui irait chercher des hassidim au coeur de la Mitteleuropa, aujourd'hui, alors qu'on les trouve désormais à Jérusalem ou à New York ?

Cet univers de la sainteté, de la joie, de la misère et de la piété s'est effondré après la première guerre mondiale, le communisme et la Shoah. Cette saveur explosive, joyeuse et inquiétante, ce sourire de la raison reposent désormais dans des mémoires. Le plus stupéfiant est que ce monde qu'on croyait anéanti reprend aujourd'hui un nouvel essor. Au-delà des institutions et des systèmes théologiques, les hassidim sont entrés autrement dans la modernité la plus sophistiquée, celle des portables et des computers. On devrait toujours se méfier des mystiques.


LA NAISSANCE DU HASSIDISME. Mystique, rituel et société, XVIIIe-XIXe siècle de Jean Baumgarten. Albin Michel, 652 p., 27 €.

Signalons également le dernier ouvrage de Moshé Idel, Mystiques messianiques. De la kabbale au hassidisme, XIIIe-XIXe siècle, préface d'Umberto Eco, traduit de l'anglais par Cyril Aslanov, Calmann-Lévy, 640 p., 29,50 €.

Dominique Bourel 

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