Je garde une profonde admiration pour la personne et l'oeuvre
d'Henri Tort-Nouguès, que j'ai si peu connu sauf au hasard de trop brèves conversations.
Il dégageait de lui une réelle humanité et une
fraternité palpable.
Jean-Yves Goëau-Brissonière, Grand Maître Honoris Causa de la Grande Loge de
France, lui a rendu il y a peu un hommage dans la revue de la GLDF.
Je vous propose de lire ce très bel et émouvant article :
Henri Tort-Nouguès 1921-2001
Tous les Anciens de la Grande Loge de France et des autres Obédiences se souviennent
d’Henri Tort-Nouguès, Grand Maître de 1983 à 1985.
Si son passage à l’Orient Éternel est récent, la lumière qu’il répandit justifie pleinement
que la Loge n° 1384 ait fait le choix de son nom comme titre distinctif.
Henri, né en Languedoc, était issu de générations d’enseignants. De là son orientation vers
le professorat en Lettres classiques et en philosophie. Il accrut ses connaissances en communiquant son savoir aux jeunes dans plusieurs lycées de province et de Paris.
Il aimait évoquer devant eux son maître Ferdinand Alquié (1906-1985), penseur éminent dont les manuels ont aidé grandement les candidats au baccalauréat. Henri parlait
aussi d’Alain, son autre professeur en Sorbonne.
Ce parcours professionnel devait nécessairement déboucher sur des engagements conformes à
un idéal de droiture.
Citoyen éclairé mais réticent aux militantismes partisans, il épousait la sagesse d’un radicalisme de tradition propre à son terroir. Aussi le message maçonnique le conduisit à vingt-huit ans à
son initiation, en 1949, à la Loge L’Écho du Grand Orient de France.
En 1964 il entra à la Loge "L’Union des Peuples" de la Grande Loge de France, qui l’accueillit avec joie. Il en fut le Vénérable sans renoncer à son
aptitude à voyager. Il s’affilia en 1985 et 1986 aux Loges Saint Jean de la Parfaite Égalité à l’Orient de Carcassonne, sa ville d’élection, et Jean Scot Érigène à l’Orient de
Paris. Fidèle jusqu’au bout à ces ateliers, il leur légua une empreinte spirituelle due à des échanges de haute qualité.
Une telle activité en Loges en fit un député dans nos Convents et Tenues de Grande Loge. Sans ambition pour lui-même, il
entre par la volonté de ses Frères au Conseil Fédéral en 1977 pour devenir aussitôt et pour deux ans, Grand Maître Adjoint sous les Grandes Maîtrises de Georges Marcou et
Michel de Just. L’ensemble de ses travaux, incessants par la parole et par l’écrit – interventions, conférences et articles – favorisa son élection en juin 1983 en tant que Grand
Maître pour deux années.
Une oeuvre qui stimule la réflexion
Ces années furent des plus riches en initiatives, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de nos temples. On se souvient des
Rencontres de Colmar à l’échelle européenne. J’y assistais en 1985 comme Grand Chancelier.
La voie qu’il a tracée, que suivront le Frère Hans Gluck et ses successeurs, aboutira, avec le Grand
Maître Jean-Claude Bousquet, à donner une dimension continentale à la Maçonnerie Écossaise dans les Grandes Loges Unies, dessinant les traits d’une Maçonnerie du
futur.
Ce rappel donne l’occasion de situer la personnalité d’Henri, dont la chaleur communicative, reflet, avec l’accent, de la
bonté de l’homme, le rendait apte à écouter chacun. Dire du bien des autres était sa règle de vie, et en dire du mal lui apparaissait comme un péché contre nature.
C’est qu’il avait ancré en lui, fruit des méditations et des lectures, la leçon optimiste des humanistes d’où est venue
la tradition de la Maçonnerie Écossaise tournée vers l’esprit.
Sa volonté d’ouverture devait le conduire à participer aux dialogues noués avec les représentants des
religions du Livre, notamment ceux de l’Église catholique, sans concessions, dans le respect de contradicteurs loyaux. La notion de Grand Architecte de l’Univers a fait l’objet
d’échange de vue passionnant à la radio entre Henri Tort-Nouguès et Bernard Ruyer (PVI n° 47 et 49).
Toutes nos publications ont réservé à notre Frère une place éminente, et ses écrits ont été réunis dans un recueil
préfacé par Jean Verdun, alors Grand Maître, en 1986.
Il reste à résumer l’apport majeur de l’écrivain, qui constitue les bases d’une véritable philosophie maçonnique reposant
sur la grandeur de l’aventure initiatique dans une «trilogie» que tout Maçon devrait lire et relire.
Elle progresse, d’un volume à l’autre, selon une démarche logique figurant dans le Prologue de l’Évangile de Jean, tourné
vers la Lumière.
Dans cette « somme », l’intention de l’auteur exposant le contenu de « l’idée maçonnique », est révélée d’emblée
dans le sous-titre Essais sur une Philosophie de la Franc-maçonnerie.
En douze chapitres, le philosophe déroule, comme sur un manuscrit, les principes fondamentaux de la Maçonnerie moderne, souchée sur une histoire bien antérieure aux «Constitutions
d’Anderson».
Le rôle de la Loge y est privilégié et ce qui s’y vit est abordé sans omissions. Après L’Idée vient L’Ordre
Maçonnique, préfacé par Paul Laget, dont l’objet consiste à prendre à bras-le-corps les «désordres du monde», dus pour partie aux «pédagogues» et «faux-monnayeurs» se
targuant de leur culture. Il oppose à ces apprentis sorciers notre méthode articulée autour d’une structure ordonnée, dont les valeurs et vertus représentées dans le temple contribueraient à
rétablir l’équilibre grâce à une éthique de paix.
C’est presque naturellement que La Lumière et le Secret de la Franc-maçonnerie forment la synthèse
d’un essai magistral et cohérent. La lumière et les lumières ne jalonnent-elles pas les quêtes d’espérance remontant à des temps immémoriaux ? La Maçonnerie Écossaise ayant pris le relais, sans perdre de vue les limites acceptées par la raison en harmonie avec la foi, éclaire les ténèbres. Ils disparaissent avec l’éclat du jour qui les dissipe, et
laisse l’Initié maître du secret de sa vie intérieure.
Fiat Lux…
En définitive, il est trop tôt pour aller plus loin dans l’examen des recherches menées à bonne fin par un Grand Maître
d’exception — par delà les éloges – et en l’absence de critiques imprévisibles. Mais les chercheurs à venir, Maçons et profanes, dont le nombre augmente, sauront, avec le recul, dépasser les
réflexions de ses contemporains séduits
par un guide stimulant leurs efforts individuels.
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