Je n’ai pas la prétention, par un court article sur ce bloc-notes, de faire le tour de façon exhaustive, de la question de la Laïcité en France. Il faudrait, pour être complet, y consacrer plusieurs ouvrages.
Dans un contexte souvent polémique, je vais essayer de résumer l’état actuel de la Laïcité en France, de façon la plus objective possible (oui je sais, mission impossible…), en tout cas, en tenant compte des textes qui régissent cette notion, et d’une jurisprudence récente.
La « Laïcité à la française », selon même l’idée de certains de ses thuriféraires, serait une notion souvent répressive ou en tous cas qui prévoit de nombreux interdits à l’encontre des religions, quelles qu’elles soient.
En fait, comme nous le verrons, les diverses lois et décisions ultérieures des juridictions administratives sont plutôt des textes de liberté, de concorde et de tolérance.
Voici, pour faire simple et pour commencer, les articles de trois textes fondamentaux dans l’ordre décroissant de leur importance juridique, qui traitent du sujet qui nous intéresse :
1) Texte ayant valeur Constitutionnelle :
° La Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen a été adoptée par articles par l’Assemblée Nationale Constituante du 20 au 26 août 1789.
Article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ».
° Article 1er de la Constitution de 1958 :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.
La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales ».
2) Traité international ayant une valeur juridique inférieure à la Constitution mais supérieure à la Loi.
° Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, signée par les États membres du Conseil de l'Europe le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953.
La France, qui héberge la Cour européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg, n'a ratifié la Convention qu'en 1974, et n'a permis à ses résidents de saisir la Cour qu'en 1981.
« Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion
1) Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.
2) La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».
3) Texte ayant valeur législative :
° Loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l'État votée le 3 juillet 1905 par 341 voix contre 233 à la Chambre, et 181 pour contre 102 au Sénat, promulguée le 9 décembre 1905 et publiée au Journal officiel le 11 décembre 1905.
« ARTICLE PREMIER. - La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public.
ART. 2.- La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.
Les établissements publics du culte sont supprimés, sous réserve des dispositions énoncées à l'article 3 ».
Comme nous pouvons le constater à la lecture de ces textes, le principe essentiel est donc bien celui de la liberté religieuse en France (on a souvent tendance à l’oublier).
La religion, ou le phénomène religieux, n’est pas cantonné à la sphère privée. Il peut trouver une expression dans le domaine public : La Convention des Droits de l’Homme est claire comme vous avez pu le lire plus haut : « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ».
Pour interdire une manifestation religieuse en public il faut donc que l’autorité (préfet, maire etc…) ai de vraies raisons, de sécurité publique par exemple. Sinon c’est le principe de liberté qui prévaut.
Par exemple il est impossible d’interdire des processions (catholiques ou bouddhistes), l’allumage des bougies d’Hannouka (juifs), sur le domaine public sans invoquer le motif du trouble à l’ordre public. Motif qui sera vérifié très sérieusement par le juge.
Il y a une restriction au principe de liberté religieuse, c’est pour les agents des services publiques (Etat, collectivités locales, fonction publique hospitalière). Les agents publics doivent adopter une position de neutralité. Donc pas de signe distinctifs religieux.
Par contre, les usagers du service public peuvent se rendre dans une administration avec des signes religieux distinctifs. Seule restriction : l’ordre public et la sécurité. Exemple : Une femme porteuse d’un foulard islamique est une usagère normale des services publiques, ce qui ne sera pas le cas d’une femme voilée entièrement car la dissimulation de son visage ne rend pas possible son identification par l’agent public.
Il y a eu aussi une loi sur l’interdiction du port du voile à l’école et une interdiction générale du port de la Burka (voile intégral) sur la voie publique.
Mais ces lois sont bien des exceptions, la règle étant la liberté religieuse « individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ».
La France, terre des droits de l’homme et des libertés est là bien dans son rôle historique.
Cela semblera déjà beaucoup à certains qui pensent qu’en France la laïcité est une laïcité de combat antireligieuse. Ce qui n’a jamais été le cas de la laïcité à la française, y compris lorsqu’on parle de la loi du 9 septembre 1905 qui fut une loi d’apaisement après des années de fort conflit entre l’Eglise catholique et la République. Des hommes comme les socialites Aristide Briand ou Jean Jaurès, véritables inspirateurs de cette loi, ont toujours privilégié le compromis à l’affrontement.
Cette loi de 1905 comporte d’ailleurs des exceptions sur plusieurs territoires français : La Guyane, Saint-Pierre et Miquelon ou Mayotte. Le cas le plus célèbre d’exception est celui de l’Alsace-Moselle. Quatre cultes, catholique, luthérien, réformé et juif y bénéficient d’un statut officiel. Prêtres et laïcs en mission, pasteurs et rabbins y sont rémunérés par l’État. Les évêques de Strasbourg et Metz sont nommés par le chef de l’État. En effet cette région bénéficie encore du Concordat Napoléonien de 1801 (en 1905, lors du vote de la Séparation, cette province était rattachée à l’Allemagne).
Ce statut a été maintenu à la demande des élus de ces régions après la Première Guerre Mondiale : en effet ce fut la contrepartie au fait qu’aucun referendum ne soit organisé dans ces régions pour leur rattachement à la France en 1918. Personne ne voulait prendre le risque d’un referendum perdu sur le rattachement à la France alors que le motif officiel de la Guerre de 14-18 avait été la Revanche, le retour au bercail des alsaciens et des lorrains.
Les alsaciens lorrains gardèrent également quelques mesures allemandes plus favorables que celle en vigueur en France, comme la Sécurité Sociale.
Retirer l’exception concordataire en Alsace-Mozelle (né d’un consensus et d’une négociation à l’époque) ne pourrait se faire qu’après consultation des habitants concernés. Visiblement le retour dans le droit commun ne recueillerait pas une majorité de suffrages… Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur l’a d’ailleurs bien compris en affirmant lors de l’inauguration de la Mosquée de Strasbourg que la fin des mesures concordataires n’était ni un projet du président de la République ni du Premier Ministre.
Le Conseil Constitutionnel a d'ailleurs réafirmé dans sa décision n° 2012-297 QPC du 21 février 2013 la validité de l'exception concordataire en Alsace-Moselle.
Le Conseil d’Etat a également établi une jurisprudence qui peut parfois surprendre, mais qui va dans le droit fil du principe de liberté religieuse affirmée dans nos textes normatifs.
Il l’a fait à travers 5 arrêts rendus très récemment, le 19 juillet 2011.
1) Parmi les pourvois présentés devant le Conseil d'Etat figurait la commune de Trélazé, dans le Maine-et-Loire, qui avait acquis une orgue pour l'église Saint-Pierre, le Conseil d’Etat a reconnu l’utilité publique de cet achat, même pour des pratiques cultuelles.
2) La communauté urbaine du Mans avait participé au financement d'un abattoir halal à l'occasion des festivités de l'Aïd el-Kebir. Le CE a donné raison à la collectivité, pour des motifs d’hygiène et de salubrité publique. Lorsque des pratiques cultuelles doivent être effectuées, si la collectivité aide pour que cela soit fait dans les normes d’hygiène en vigueur elle est dans son rôle.
3) La fédération cultuelle des associations musulmanes de Montreuil avait demandé l'octroi d'un bail emphytéotique (article L1311-2 du Code des collectivités territoriales) pour la construction d’une Mosquée. Le CE donne raison à Ville de Montreuil d’avoir accordé ce bail. Un ordonnance de 2006 autorisait les communes à délivré un bail emphytéotique même pour des édifices cultuels, mais seulement pour les travaux de construction.
4) La Communauté d’Agglomération de Lyon avait octroyé une subvention pour la construction d’un ascenseur pour la basilique de Fourvière. Le CE valide la subvention au titre que c’est dans l’intérêt touristique du lieu.
5) Enfin, la mise à disposition d'une salle pour une association franco-marocaine par la commune de Montpellier avait aussi été attaquée. Le CE a confirmé que la ville pouvait – et même devait – octroyer cette salle. En effet la location d’une salle publique municipale à une association cultuelle, y compris pour y accomplir un culte et des pratiques religieuses est non seulement tolérée mais obligatoire. Le Maire, sauf recours à l’ordre public, ne peut s’y opposer, sinon c’est considéré comme une entrave à la liberté religieuse.
La laïcité à la française (sans adjectif aucun) n’a pas la réalité que certains lui prête. Elle est garante de la liberté de chacun(e)s, de croire ou de ne pas croire et de vivre et d’exprimer sa croyance ou sa non croyance (pas de délit de blasphème), en privé comme dans le domaine public… à condition de ne pas contrevenir à la loi et de ne pas heurter celles et ceux qui ne pensent pas la même chose.
Cette laïcité vécue sur le mode de l’apaisement plutôt que de la confrontation tente jour après jour de réunir ce qui est épars, avec comme objectif le vivre ensemble. N’est-ce pas une belle mission ? Qu’elle y réussisse toujours … évidemment non…
Mais y-a-t-il une autre solution ? Je ne pense pas.
Jean-Laurent Turbet
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