2009 étant l’année commémorative de la naissance du grand Réformateur Jean Calvin, à
Noyon en Picardie, il me semblait intéressant de réfléchir à la question de la pertinence pour aujourd’hui de la pensée de Calvin.
Ceci n’est évidemment pas un exposé théologique mais un ressenti personnel après la lecture de quelques textes de Calvin et de quelques biographies qui lui ont été
consacrées.
Ce que j’entends le plus autour de moi comme remarque c’est « heureusement que le protestantisme ne l’a pas emporté en France durant les guerres de Religions sinon ce serait l’austérité
qui se serait abattue sur notre pays »… Certes, Jean Calvin ne passe pas pour le plus grand gai luron de la terre. Il n’a pourtant jamais été le monstre froid et austère décrit par ses
détracteurs qui ont au fil du temps essayé d’inventer une «légende noire» autour de lui. Calvin a toujours eu des amis proches, mais jamais une cour, avec qui il plaisantait souvent ;
Beaucoup de lettres le démontrent. Il a toujours eu une vie sociale active malgré une santé fragile et un labeur harassant (sermons, livres, correspondance…).
La «dictature» qu’aurait exercée Calvin sur Genève, interdisant chants, danses et musique se révèle aussi largement fausse. Si, c’est vrai, il n’aimait pas l’orgue pour les cultes (ce qui est une
option personnelle), il parle longuement du plaisir qu’il a à écouter de la musique, évoque «la jouissance» que procurent les fleurs, la bonne chère ou le vin… Sur les questions touchant à la
morale, s’il n’est pas tendre avec ce qu’il appelle la débauche, les chansons paillardes et le chahut aviné des fêtards, il n’est probablement pas le triste puritain que l’on s’évertue à nous
présenter.
Cela se révèle plus pertinent encore si l’on compare avec la situation actuelle de notre pays plutôt qu’avec celle qui prévalait au 16ème siècle.
Si le Conseil de Genève se montre assez conciliant avec ce que l’on nomme alors la « paillardise », refusant les mesures extrêmes (il n’y aura aucune peine de mort pour ce motif, la plus sévère étant le bannissement) quelle est la position de Calvin ? Elle est que la femme doit être respectée. En des temps où il est commun que les maîtres aient un droit de cuissage sur leur domesticité, Calvin dit non. Par exemple, un membre du gouvernement de Genève de l’époque, François Favre, ne comprend pas qu’on le condamne pour avoir violenté et mis enceinte sa servante, un simple «péché de cul» selon lui.
La position de la société française aujourd’hui n’est-elle pas plus proche de celle de Calvin que de celle qui prévalait majoritairement alors? Tolèrerait-on aujourd’hui qu’un patron violente une employée ou sa femme de ménage? Bien sûr que non, et il encourrait aujourd’hui à juste titre une peine de prison beaucoup plus sévère en France au 21ème siècle que dans la Genève de Calvin.
Concernant l’adultère (et Calvin et fut concerné au premier chef puisque sa belle fille le commit en sa demeure avec un beau garçon) la position de Calvin est extrêmement nuancée. Sa condamnation est certes là encore très claire ! Mais dans la pratique il a toujours souhaité la conciliation et la réconciliation des époux. En effet, nombre de maris discourtois laissaient femme et enfants sans ressource, oublieux qu’ils étaient de rendre leur dot à leur épouse… Là encore c’est l’intérêt de la femme qui primait dans son esprit.
Même s’il convient de ne pas faire d’anachronisme, les mouvement de droits des femmes et d’émancipation doivent beaucoup à l’esprit de la pensée de Calvin et des graines qu’il a planté et qui germeront plus tard. Ce n’est pas un hasard si ce sont les églises protestantes d’inspiration calvinistes qui ont les premières ouvert aux femmes le droit d’être ministres du Culte. On trouve aujourd’hui nombre de femmes pasteurs à l’Eglise Réformée de France. On est loin des questions qui se posent encore aujourd’hui à l’église catholique sur le mariage des prêtres ou l’ordination des femmes à la prêtrise. Ce sont des questions que les protestantant(e)s ne se posent plus depuis longtemps !
Concernant l’alcool, Calvin ne condamne pas quelques verres de vin pris entre amis. Il est extrêmement sévère c’est vrai pour les ripailleurs avinés cherchant querelle dans et hors les tavernes, ceux qui sous l’emprise de la boisson tuent, violent, battent femmes et enfants, commettent larcins, crimes et délits divers. Bref, les excès de la boisson… Je sais qu’en France, pays de la «culture» du vin (que je sache, l’apprentissage du goût de l’alcool n’est au programme d’aucune école, d’aucun collège ou lycée aujourd’hui…) ce discours passe mal. Pourtant n’est-il pas au contraire le discours dominant de la part de nos autorités ? Nous savons bien que l’alcoolisme est en France un fléau majeur. Qu’il touche particulièrement les jeunes et qu’il est extrêmement mortifère. Rappelons qu’en France aujourd’hui, être sous l’emprise de la boisson lorsqu’un délit est commis est une circonstance aggravante et non pas une circonstance atténuante (le célèbre « il a renversé la vieille mais c’est pas de sa faute il était bourré » n’a heureusement plus cours). La publicité est interdite pour toute bosson alcoolisée sur les ondes (télévisuelles et radiophoniques…) et le ministère de la Santé ne cesse de multiplier les campagne contre l’alcoolisme et notamment l’alcool au volant. Pas encore suffisamment il est vrai tant nous pouvons constater les ravages de l’alcool tant en terme de maladies et de décès, qu’en terme de violences conjugales, délits et crimes divers… La voie vers la tempérance prônée par Calvin est encore un but à atteindre mais pourtant n’est-ce pas lui qui a eu au 16ème siècle la bonne intuition ?
Concernant l’éducation c’est Calvin qui créer à Genève la première Université publique libre, gratuite et mixte. Il voulait en effet que chaque chrétien puisse lire la Bible et s’en faire sa propre opinion. Pour cela il fallait évidemment … savoir lire. A l’époque où l’Eglise catholique romaine interdisait à ses ouailles de lire la Bible (seuls les prêtres pouvaient l’interpréter), c’est une véritable révolution. Les protestants ont toujours mis un accent particulier, à l’image de Calvin, sur l’importance de l’éducation et du savoir. Est-ce vraiment un hasard si Jules Ferry, alors qu’il vient de lancer l’école laïque gratuite et obligatoire, choisit le protestant Ferdinand Buisson pour diriger les programmes de l’école primaire ? Evidemment non. Là encore, Jean Calvin, à une époque bien obscurantiste en France, a lancé des pistes porteuses d’avenir qui se révèlent être les nôtres encore aujourd’hui.
Sur la question de la séparation des pouvoirs là encore Calvin fut novateur. Mais là encore, pas d’anachronisme, nous sommes au 16ème siècle et le concept de laïcité n’est pas encore inventé. Pourtant le Conseil (qui gouverne) et les Pasteurs (qui ont en charge les âmes) sont deux instances bien séparées et voulues comme telles par Calvin. Et penser que les magistrats sont de simples exécutant des volontés de Calvin est historiquement faux. Il ne cessera de batailler avec le Conseil durant toute sa vie et n’aura pas toujours gain de cause, loin s’en faut. Le concept d’une «dictature calvinienne» sur Genève a été forgée bien après lui par ses détracteurs et les ennemis de la Réforme. La stature tout à fait exceptionnelle du Réformateur, son intelligence et sa puissance novatrice ont certes été importantes et ont joué un rôle. Mais ce rôle à toujours été contrebalancé par celui du Conseil.
Il n’empêche qu’en France nous connaissions alors la monarchie de droit divin (« le Roi te touche, Dieu te guérit ») et que le système démocratique mis en place par Calvin dans la République de Genève était totalement incompatible avec elle. L’avenir là encore lui a donné raison après moult vicissitudes de l’Histoire… Et il est un fait avéré que les protestants français ont été depuis l’origine les ardents défenseurs de la République et du modèle démocratique et républicain, contre la monarchie absolue et le cléricalisme.
J’invite par ailleurs, concernant le cléricalisme et la laïcité, les plus laïcards d’entre nous à relire (avec quelque délectation) les pages où Calvin fustige «les papistes», le clergé et toutes les «superstitions» du catholicisme. Je pense bien entendu à de nombreuses passages de L’institution de la Religion Chrétienne, mais aussi au Traité des Reliques par exemple. Le ton est vigoureux, incisif, violemment polémique et souvent agrémenté d’un humour féroce et grinçant! Beaucoup des laïques d’aujourd’hui puisent (parfois sans le savoir) leurs arguments auprès des huguenots d’hier et des calvinistes d’avant-hier ! La filiation est ici d’une absolue évidence…
La crise d’aujourd’hui nous pousse à repenser ce qui fonde notre société. D’une société de l’argent roi et du tout consumérisme nous devrons refonder une société plus juste fondée sur de nouvelles valeurs. Là encore je pense que l’apport théorique de Calvin et du calvinisme pourrait nous être fort utile. Contrairement au catholicisme qui méprise (fort hypocritement) l’argent, Calvin prône là encore les vertus de la tempérance. Si les pauvres doivent accepter de se passer des choses qu’ils ne peuvent pas avoir, la contrepartie calvinienne est que ceux qui sont mieux dotés par le sort ne doivent pas profiter du luxe avec ostentation. On se souvient des remarques concernant « les sombres huguenots » venues de la cours de Charles VII ou d’Henri III… La noblesse huguenote mettait en effet un point d’honneur à chercher à rester vestimentairement et comportementalement proche de la masse de ses concitoyens. Donc de ne pas abuser de leur richesse. C’était un premier pas dans l’idée d’Egalité qui allait fleurir dans les siècles suivants… Mieux encore, les protestants ont toujours considéré qu’ils devaient être en pointe dans ce que nous appelons maladroitement «la charité» : construction d’écoles, d’hôpitaux, de dispensaires etc… Mais la finalité est tout autre que pour un catholique. Le catholique pense que s’il fait le bien, cela lui sera utile pour son Salut futur. Rien de tel chez un protestant : pour un calviniste, les œuvres ne comptent pas pour le Salut futur ! Si l’on fait le bien c’est simplement parce que c’est juste de le faire. Sans contre partie, sans marchandage avec Dieu.
A l’heure où nous savons que la planète court un grave danger si nous continuons à l’exploiter sans vergogne et sans retenue, ou la pauvreté augmente de façon catastrophique, nous devrons nous occidentaux, nous français, changer, changer certainement notre mode de vie et notre façon d’envisager la cœxistence harmonieuse de l’ensemble des humains sur notre Terre… Et cela sans contrepartie autre de le faire parce que nous savons que c’est bien de le faire quoi qu’il nous en coûte…
Alors pour conclure ces quelques réflexions jetées à brûle pourpoint sur le papier, la question un peu provocatrice du titre de cet article se pose en effet. Malgré la victoire des catholiques après les guerres de religions, malgré toutes les péripéties de l’Histoire, malgré «l’esprit français» si rétif à la mesure, sommes-nous, peut-être un peu par la force des choses et sous la contrainte des événements, en voie de calvinisation ? Et si la modernité, les valeurs d’aujourd’hui et de demain, ce monde que nous devons réinventer, devaient s’inspirer un peu (ou beaucoup) de cet idéal genevois, inventé par un Réformateur français au cœur du 16ème siècle. En laissant de côté les idées, formules et concepts propres à la période mais pour en retrouver la substantifique moelle chère au condisciple de Calvin que fut François Rabelais.
Je laisse le mot de la fin à Sébastien Castellion, pourtant adversaire de Calvin (on se rappelle de son célèbre «Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme», à propos de la mort de Michel Servet) qui déclarait: « Non seulement Calvin s’est livré à une véritable débauche d’innovations (…); en fait, il a plus innové lui-même en dix ans que l’Église catholique en dix siècles ».
C’est de cet esprit d’innovation dont nous avons besoin pour aujourd’hui comme pour demain.
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