Je vous propose de lire l'interview donnée par René Lota (Secrétaire général de la Fondation du Patrimoine
pour la Corse et ex pdg de la Sovicap) au site CORSICA.
"Un Corse sur 100 est Franc-Maçon"
Depuis 35 ans, René Lota porte le tablier des Francs-Maçons. Pour la première fois, il accepte de parler à visage découvert de cet engagement. « Pour en finir avec les fantasmes »,
assure-t-il.
Pourquoi accepter de parler à visage découvert ?
Parce que la maçonnerie n'est pas secrète. Elle est simplement discrète. Ce sont les Latins qui ne la révèlent pas, dans le monde anglo-saxon, cela ne pose aucun problème, les maçons anglais
sortent dans la rue avec leurs décorations, organisent des processions... C'est d'ailleurs également le cas aux États-Unis ou en Allemagne ? Cela se passe partout comme ça, sauf en Italie, en
France et en Espagne.
Rester extrêmement discret lorsqu'on est franc-maçon, est-ce qu'il ne s'agit pas aussi
d'une particularité corse ?
Pas plus qu'ailleurs. C'est un peu comme les confréries : quelqu'un pourra toujours « savoir » s'il le souhaite.
Combien la franc-maçonnerie compte-t-elle de membres en Corse ?
Toutes
obédiences confondues, environ 2 000.
C'est énorme !
Oui, près d'un Corse sur 100 est franc-maçon. C'est typiquement corse, un goût pour les sociétés confraternelles qu'on retrouve dans l'engouement pour les confréries religieuses, lesquelles
partagent assez souvent une vision du monde identique à celle des francs-maçons.
Et dans votre obédience ?
Notre grand-maître provincial, qui était il y a trois mois parmi nous, ici, a lui-même évoqué le chiffre de 522.
Existe-t-il un lien particulier entre la franc-maçonnerie et la Corse ?
La
Corse est véritablement l'une des terres où la maçonnerie s'est installée le plus tôt. On pense savoir que la première loge a été ouverte dans l'île dès 1750. Quand on sait que la maçonnerie a
été codifiée en 1717, faites vous-même le rapport... Oui, c'est extrêmement précoce. Les Corses, sont par essence clanistes. Sans doute veulent-ils se retrouver dans un système claniste comme la
franc-maçonnerie.
La franc-maçonnerie est une structure claniste ? !
Je comprends que ces propos puissent choquer mais ils recèlent une part de vérité : comme le clan, la maçonnerie est structurée, avec des chefs, des codes...
Est-ce une manière de reconnaître à demi-mot la forte proportion d'hommes politiques
corses membres de la franc-maçonnerie ?
Le député Gavini l'était, pour remonter un peu plus loin, Saliceti, Sebastiani, les frères de Napoléon l'étaient aussi... Et même Pasquale Paoli ! Je dispose d'ailleurs de la photocopie du
registre d'entrée de Paoli dans la franc-maçonnerie qui se trouve dans nos archives, à Londres...
Vous ne répondez pas à la question : est-ce que les hommes politiques corses aujourd'hui
sont très représentés dans la franc-maçonnerie ?
Je le pense.
Quel regard portez-vous sur les rumeurs de francs-maçons omnipotents qui dirigent la Corse
en sous-main ?
Vous le dites vous-même : du fantasme pur, trimballé partout en tous temps depuis les canulars de Léo Taxil [un écrivain lui-même exclu de la franc-maçonnerie qui avait inventé de toutes pièces
de prétendues confessions sur le satanisme en cours dans les loges et l'omniprésence de celles-ci, ndlr]. Tous les hommes qui se réunissent dans des sociétés discrètes ont une tendance naturelle
à s'entraider. Les francs-maçons sont loin d'être les seuls : les membres du Rotary Club ou du Lion's s'entraident, l'association des anciens de l'ENA ou de Polytechnique aussi... Il n'y a là
rien de surprenant, c'est même tout à fait normal...
À la différence près que les associations d'anciens élèves de telle ou telle école sont totalement
transparentes...
Et alors ? Tout le monde peut venir chez nous aussi...
C'est quand même plus difficile.
Nous avons coutume de dire qu'il était
difficile d'y entrer et facile d'en sortir.
Les francs-maçons pèsent-ils sur la vie de la Corse ? Orientent-ils les débats politiques
et si oui, comment ?
Franchement, je ne pense pas qu'ils pèsent vraiment...
En 2000 pourtant, les responsables du Grand Orient ont défrayé la chronique en organisant
une réunion secrète avec des militants nationalistes...
Je ne peux pas parler pour les obédiences que je ne connais pas et ne fréquente pas. Ce que je peux vous dire, c'est que ce genre de réunions est impensable dans l'obédience que je connais et qui
est la mienne, c'est-à-dire la Grande Loge Nationale de France.
Pourquoi ?
Parce que nous n'avons pas la même optique. Chez nous, il est interdit de parler de politique ou de religion en loge. Nous ne sommes pas là pour cela. Ce n'est pas notre rôle. Notre rôle, c'est
d'aider un frère à comprendre certaines choses et, par son exemple à l'extérieur du temple et dans la vie courante, ce que nous appelons le monde profane, montrer qu'il aide les autres et les
comprend.
Pourtant votre obédience a été la cible des foudres de la justice dans plusieurs histoires
d'affairisme très importantes. Ca vous inspire quoi ?
Rien.
C'est un peu court...
Pourquoi la nôtre ? Et pas les autres ? Je lisais ce matin dans le journal qu'un médecin avait été sanctionné par le Conseil de l'ordre car ses pratiques n'étaient pas conformes à l'éthique
médicale. C'est la même chose chez nous. Qu'il y ait eu des brebis galeuses chez nous, oui. Et nous avons nettoyé, ce qui est tout à fait normal.
L'appartenance à une loge en Corse facilite-t-elle une ascension professionnelle ou
sociale ?
Absolument, du moins chez nous, dans notre obédience. Ce que nous voulons, c'est faire progresser l'humanité. Il peut y avoir plusieurs manières de le faire. À la GLNF, nous
privilégions la progression individuelle : ce que fait le franc-maçon à l'intérieur de sa loge lui permet, à l'extérieur, de transmettre quelque chose. Ce n'est pas la même chose dans d'autres
obédiences qui ne se cachent pas pour affirmer qu'elles abordent des thématiques d'ordre politique. C'est notamment le cas au Grand Orient, où les frères ont traité de grands problèmes de société
comme l'avortement ou, en Corse plus précisément, de la décentralisation. La GLNF s'y refuse, conformément à nos statuts : pas de politique, pas de religion.
À l'heure de la multiplication des réseaux sociaux, notamment sur Internet, ne
craignez-vous pas de perdre une partie de votre raison d'être ?
Absolument pas. Il n'y a qu'à voir la progression de la GLNF qui comptait 4 000 frères il y a vingt ans et en compte aujourd'hui 40 000. C'est bien la preuve que l'homme recherche quelque chose,
une certaine spiritualité. Actuellement, nous assistons à un grand besoin de connaissances et de savoir qu'on ne retrouve plus dans le monde profane et qu'on retrouve dans nos loges. Nous sommes
là pour ça, d'ailleurs.
Être franc-maçon, en Corse en 2008, cela signifie quoi ?
La même chose que depuis 275 ans : se connaître pour transmettre. En clair : aider les autres.
Propos recueillis par Antoine Albertini
° Lire l'interview sur le site de Corsica
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