La Provence" intitulé
: "Marseille reste une
place forte des francs-maçons".
C'est un article du 4 juin 2007 de François Tonneau (ftonneau@laprovence-presse.fr).
Marseille
reste une place forte des francs-maçons.
Ils sont 6 à 7 000 "frangins" en quête spirituelle et recherche de réseaux
C'est un restaurant comme on en trouve souvent dans les zones industrielles. A deux pas du lycée Marseilleveyre, le Club Ecossais, ses plats du jour et son buffet, ne se distingue des établissements du même type que par son nom étrange. Et l'équerre et le compas discrètement gravés dans les marbres de l'accueil. Souvent le soir se réunissent ici les frères de la Grande loge nationale de France. L'une des plus importantes obédiences de la franc-maçonnerie, qui revendique quelque 25 000 membres dans l'Hexagone, a installé ici ses bureaux, ses salles de banquets et les temples.
Objets de tous les fantasmes, ces rectangles aux murs bleu nuit et au plafond constellé d'étoiles, dont la géographie évoque celle du Vieux-Port, accueillent entre 30 et 50 personnes. C'est ici que l'on "planche". Que les maîtres, selon des rituels précis, exposent à la petite société présente leurs connaissances sur des sujets établis jusqu'à trois ans à l'avance. La génétique est très en vogue. "Nous ne sommes pas dans un cercle littéraire, prévient André (*). Ni dans une séance de psychothérapie où l'on chercherait à soigner quelques maux intimes. Nous sommes là pour tenter de trouver des réponses à nos interrogations existentielles."
Maître dans une loge marseillaise du Grand Orient (GO), qui compte 48000 adeptes en France, André a passé dix ans dans ces loges bleues où évoluent 75% des francs-maçons. Avant de passer le degré supérieur, qui l'enverra dans des cercles plus intimes, plus perméables aux luttes d'influence et moins pénétrables (il y a 99 degrés dans la franc-maçonnerie), il a coopté son ami Pierre (*) au GO.
Entré il y a trois ans, ce chef de petite entreprise est venu chercher "une profondeur. Lors de l'enquête qui a précédé mon entrée, les trois frères m'ont prévenu qu'il ne fallait pas avoir peur d'être déstructuré. J'ai été impressionné par l'initiation, sa mise en scène faite pour vous déstabiliser. Puis, pendant deux ans, je n'ai fait qu'écouter, ne pouvant prendre la parole. Souvent, après un atelier, j'ai du mal à fermer l'oeil de la nuit, parce que la franc-maçonnerie met vos sens en éveil. Mais j'y trouve la sagesse."
A Marseille, 6 à 7000 "frangins" se retrouvent ainsi en ateliers hebdomadaires ou mensuels dans leurs temples de Rabatau, Bonneveine ou du cours Julien. "La maçonnerie, c'est rassembler ce qui est épars, résume François Achour, membre supérieur du Memphis Mizraïm. C'est une préparation à la mort que je trouvais élitiste et sectaire au départ. Mais j'ai compris que la discrétion qui l'entoure se justifie par son oeuvre. La société a évolué du spirituel à la matière, de Sartre au Loft. Nous expliquons cela par le balancier. A partir de l'observation, nous essayons de comprendre, d'avoir l'intuition de l'univers ".
Si le langage semble complexe, c'est aussi pour cultiver une forme d'ésotérisme. Et d'ambiguïté. Même si elle est ouverte à toutes les couches sociales, la maçonnerie, dont Marseille est historiquement une place forte, ne s'apprivoise que par petites touches. "Le secret, c'est ce que les maçons des cathédrales livraient au fur et à mesure à leurs apprentis, explique Serge Botey, adjoint au maire chargé de la culture, libraire à la Touriale, mais pas franc-maçon. Avoir la même expérience pour se comprendre, ne pas en donner plus que ce que l'autre est capable de recevoir, voilà le secret. Il permet d'éviter les spéculations. Le reste, c'est du fantasme ou des dérives."
(*) Les prénoms ont été modifiés.
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