Depuis plusieurs années je publie sur ce bloc-notes des articles concernant le port (ou plutôt l’absence de port) du tablier en loge, jusqu’après la seconde guerre mondiale. Vous trouverez les quatre articles dont je parle en liens à la fin de cet article.
Pour l’instant je ne parlais que de la Franc-Maçonnerie de Rite Écossais Ancien et Accepté c’est-à-dire celle pratiquée par le Suprême Conseil de France (à partir de 1804 puis 1821), la Grande Loge Symbolique Écossaise (1880-1911) puis la Grande Loge de France (à partir de 1894).
A la question d’un lecteur du Bulletin mensuel des Ateliers Supérieurs (du SCDF), le grand historien Albert Lantoine répond : « Je suis incapable de vous renseigner, et, bien que publiant ici votre question, il est douteux qu’un lecteur puisse vous en apporter la solution.
Ah ! si la modification avait été ordonnée ou suggérée par un texte – soit d’une obédience, soit d’un Franc-Maçon influent – nous aurions au moins un point de repère. Mais il est probable que l’abandon du tablier s’en opéré insensiblement. Pourquoi ? Maintes explications sont permises, mais aucune, je le crains, ne sera péremptoire.
Cela doit dater du milieu du XIXè siècle, car au début de ce même siècle, des gravures nous montrent encore des maçons décorés de leurs tabliers ».
Le port du tablier n’avait donc plus cours dans les trois degrés symboliques écossais depuis le milieu du 19ème siècle… Les frères maîtres ne gardaient que leur cordon (dit aussi baudrier).
Ceci nous l’avons expliqué.
Un événement avait marqué les esprits : En 1899, la création de « L’anglo-Saxon Lodge » à la Grande Loge de France (datée de 1901 sur le matricule de la GLDF).
La Grande Loge Unie d’Angleterre avait refusé de créer une loge sur le territoire français, répondant aux frères anglais et américains qui souhaitaient la fonder qu’il y avait une obédience pour cela en France.
Les frères prirent donc attache avec le Suprême Conseil de France (car, bien que la Grande Loge de France ait été créée en 1894, la Suprême Conseil de France a continué de délivrer les patentes et les diplômes de Maîtres jusqu’en 1904) qui donna patente pour la création de « L’Anglo-Saxon Lodge » en 1901, composée exclusivement de frères anglais et américains qui travaillent au Rite anglais de style Emulation, en anglais.
Lors de la création de cette loge, Oswald Wirth, présent fut étonné du fait que les frères anglo-saxons portent tous le tablier, symbole du travail.
Ceux-ci d’ailleurs, dirent aux frères français que le port du tablier était pour eux essentiel et qu’il constituait même quelque chose qui serait de l’ordre d’un critère de régularité.
Un franc-maçon porte un tablier en loge : sinon ce n’est pas un franc-maçon à 100%.
Albert Lantoine fait la même constatation dans son article sur « l’apologie du tablier » lorsqu’il écrit : « Lorsque de longues années (que je ne veux pas, par coquetterie, évaluer), j’étais vénérable de la R :. Loge La Jérusalem Ecossaise, un maçon anglais qui se trouvait sur nos colonnes fit, au cours de la discussion, une « sortie » contre ses frères français. Il leur refusait la qualité maçonnique parce qu’ils ne portaient pas le tablier. (…) Partout, que ce soit dans les pays anglo-saxons et balkaniques, en Belgique et en Suisse, j’ai pu me convaincre que le tablier était d’un usage obligatoire. Et j’avoue que, me trouvant dans leurs assemblées maçonniques avec un simple cordon, j’avais l’impression de jeter dans l’ensemble une note discordante. C’était une originalité dont je ne m’enorgueillissais pas parce que je prenais conscience que la raison n’était pas de mon côté. Nos ancêtres du XVIIIe siècle portaient le tablier. »
Ce qui veut dire au passage que les frères du Rite Écossais recevaient et étaient reçu à cette époque dans les loges des pays-anglo-saxons, de Belgique, de Suisse…
Le Souverain Grand Commandeur du Suprême Conseil de France, Jean-Pons Viennet écrivait déjà au Maréchal Bernard Magnan, Grand-Maître du Grand Orient de France le 3 février 1862 : « Nos relations (celle du SDCF) s’étendent aux extrémités du monde tandis que les Vôtres (celles du GODF) ne dépassent pas la frontière ».
Mais je ne savais pas si la question du port du tablier en loge était singulière au Rite Ecossais, ou s’il en était de même au nom au Rite Français, au sein du Grand Orient de France.
Et bien il semble bien… qu’il en fut de même.
C’est dans les papiers d’un frère du Grand Orient de France à Londres que l’ami Philippe Langlet, l’un de nos meilleurs historiens, a trouvé la preuve documentaire qu’au Grand Orient aussi la question du port du tablier se posait.
Et c’est également grâce à la fréquentation de frères anglais qu’elle se pose.
Mais d’abord quelques mots sur ce frère du Grand Orient :
Maurice Paillard
Maurice Paillard, est né le 24 avril 1878 à Nemours (Seine-et-Marne) et mort le 7 décembre 1957 à Harefield, Middlesex (Uxbridge, Middlesex).
Il vit à Londres où il est Coiffeur-Postichier (« de Buckingham » est-il précisé sur l’une de ses cartes de visite).
Il a été initié à Londres au sein de la loge HIRAM, du Grand Orient de France, créée en 1899 (le GODF n’ayant pas eu les mêmes préventions que la GLUA, va créer une loge à Londres).
Maurice Paillard est le correspondant de la revue « Le Symbolisme » (créée par Oswald Wirth en 1912), pour l’Angleterre de 1927 à 1957.
Il s’intéresse donc beaucoup aux questions liées au symbolisme et à la tradition maçonnique qu’il souhaite revivifier au sein du Grand Orient de France.
Maurice Paillard traduit d’ailleurs les Constitutions d’Anderson en français en 1954. Il fait son « tour de France » au milieu des années 50 pour promouvoir sa traduction. Il s’en est d’ailleurs pas mal vendu, les Constitution d’Anderson figurant sur le plateau du Vénérable avec le compas et l'équerre au Grand Orient de France.
Mais il retourne ensuite en Angleterre où il décède quelques années plus tard.
Des esprits taquins notent que lorsque Daniel Ligou indique dans la préface de sa propre traduction des Constitutions d’Anderson qu’il a « fait un gros travail de traduction », il sera plus exact de dire « un gros effort de transcription », tant son texte est proche à 99% du texte de la traduction de Maurice Paillard, notre frère du Grand Orient de France. Rendons à César ce qui est à César et à Paillard ce qui est à Paillard…
Or la loge HIRAM du Grand Orient de France à Londres va envoyer au Convent de 1909 un vœu demandant… le port du Tablier de Maître en loge.
Au moins, celui-là, pour le tablier d’apprenti et de compagnon, il n’en ai pas fait mention.
C’est bien la fréquentation des frères anglais – qui eux, bien entendu, n’ont jamais cessé de porter le Tablier, symbole du Travail maçonnique – qui amène la loge de Londres du Grand Orient de France a proposer ce vœu.
En effet, dit le vœu, pour les anglais « le port de cet insigne confère à leurs yeux la dignité de maçon » et pour les frères « appartenant au GRAND ORIENT, et ne portant pas le TABLIER », cela est « préjudiciable, puisque ces mêmes puissances en infèrent une tare d’irrégularité ».
N’anticipons pas sur les critères de Régularité imposés par la Grande Loge Unie d’Angleterre vingt ans après, en 1929. Pas d’anachronisme. Mais pour les anglais d’alors, le port du tablier était un des critères de régularité d’alors, et ceux qui n’en portent pas, ne sont pas considérés comme des « maçons à 100% ».
Au Grand Orient de France, comme à la Grande Loge de France, en 1909 (et visiblement depuis le milieu du 18ème siècle) les frères étaient donc « des maçons sans tablier » au sens propre du terme ! (Je déteste d’ailleurs cette expression bateau appliquée aux non-maçons qui partageraient les valeurs de la Franc-Maçonnerie sans être maçon : c’est une forme de récupération insupportable).
Le port du tablier en loge sera de nouveau (et progressivement...) effectif à partir de 1946. Il faudra encore bien des années pour qu'il s'impose à tous. Ce qui nous semble aujourd'hui si évident. Deux puis trois fabricants de décors à Paris proposeront des tabliers de maçons.
Il faudra attendre l’action de frères - très minoritaires au départ - comme Oswald Wirth (et la loge « Travail et Vrais Amis Fidèles »), Albert Lantoine (et la loge « Le Portique »), Jules Boucher, René Guénon (et la loge « La Grande Triade »), Marius Lepage (et la loge « Volney » de Laval) – qui œuvreront toute leur vie pour redonner à l’Ordre Maçonnique le caractère initiatique traditionnel qu’il avait perdu en s’égarant dans la politique, profanant ainsi – de façon fort heureusement provisoire - les travaux maçonniques d’alors.
Et avec l’action courageuse de frères plus anonymes comme Maurice Paillard qui – eux aussi – ont effectué ce travail essentiel, j’allais dire vital, pour redresser l’Ordre et lui redonner le caractère initiatique et maçonnique qu’il avait perdu.
Ces frères anonymes ou moins connus que j’aime bien remettre en lumière dans les articles de ce bloc-notes.
Jean-Laurent Turbet
Voici donc ci-dessous le texte du vœu de la Loge HIRAM du Grand Orient de France :
« Grand Orient de France
Suprême Conseil
Pour la France et les Possessions Françaises
LIBERTE-EGALITE-FRATERNITE
Hiram Lodge
Adresse du local pour la correspondance
HORSEHOE HOTEL
TOTTENHAM COURT ROAD, W.
Tenue solennelle 2ème mercredi et 4ème vendredi.
Orient de Londres 17, avril (19)09
Au GRAND ORIENT de France
S.. S.. S..
( Salut, Salut, Salut)
TT..CC..FF..
(Très chers frères)
Dans sa tenue solennelle du 14 courant, la loge HIRAM a décidé de soumettre au prochain CONVENT un vœu tendant à rendre obligatoire le port du Tablier de Maître. En conséquence, elle vote la résolution suivante :
« Attendu que le port du Tablier de Maître est de tradition rituéllique.
Attendu que l’Echarpe de Maître n’est qu’un décor, rappelant l’ancien baudrier qu’au sein des loges portaient nos aînés dans un esprit d’égalité.
Attendu que toutes les puissances MACONNIQUES du monde entier portent et considèrent, à juste titre, le TABLIER comme l’unique insigne mac.. et que le port de cet insigne confère à leurs yeux la dignité de MAC… Considérant qu’à l’égard des puissances précitées la situation des FF… appartenant au GRAND ORIENT, et ne portant pas le TABLIER, est préjudiciable, puisque ces mêmes puissances en infèrent une tare d’irrégularité.
Par ces motifs :
La loge décide de soumette au Convent le vœu suivant :
LE PORT DU TABLIER DE MAÎTRE EST OBLIGATOIRE »
Veuillez agréer, TT..CC..FF.., l’expression de nos sentiments frat.. et dévoués,
Le Vén..
F Bertholon
L’Or.. Le sec..
R Lancri a. 7. Bec
Je poursuis, avec le texte ci-dessous, les recherches commencées il y a quelques articles déjà sur le port - ou plutôt l'absence de port - du tablier en loge. Le texte ci-dessous intitulé "apo...
http://www.jlturbet.net/2016/03/l-apologie-du-tablier-par-albert-lantoine-texte-de-1934.html
Le Convent de la Grande Loge de France a commencé ses travaux le 17 septembre 1936 sous la présidence d'André Guillemin, Vénérable de la loge parisienne " La Fidélité ", loge homonyme de cel...
http://www.jlturbet.net/2014/11/gldf-1936-il-faut-mettre-un-tablier-mes-freres.html
Depuis plusieurs années je publie sur ce bloc-notes des articles concernant le port (ou plutôt l'absence de port) du tablier en loge, jusqu'après la seconde guerre mondiale. Vous trouverez les ...
http://www.jlturbet.net/2018/01/francs-macons-sans-tablier-le-grand-orient-de-france-aussi.html
Bienvenue sur le site de la Loge Hiram, une loge du Grand Orient de France, à Londres, accueillant des hommes et des femmes désirant travailler ensemble. Vous trouverez ici des informations ...
Le site de la Loge HIRAM du GODF à Londres
Attention ! Cet article, comme tous les articles du "Bloc-Notes de Jean-Laurent sur les Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est écrit en mon nom personnel.
Je ne parle ni au nom d'une association, ni d'un parti, ni d'une loge, ni d'une obédience maçonnique.
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Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Bloc-Notes, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
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Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen pose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
Jean-Laurent Turbet
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