C’était aussi un dimanche. Il y a huit cents ans. Dans le nord de la France au sud-est de ce qui est aujourd’hui la métropole lilloise. Bouvines.
« Le dimanche de Bouvines », ce merveilleux livre du grand historien et médiéviste française Georges Duby (1919-1996). L’un des tous premiers livres d’Histoire qui m’a vraiment marqué. Après j’ai lu tout Duby (ou presque), Le Goff, Le Roy Ladurie… Tout est partie de là. « L'année 1214, le 27 juillet tombait un dimanche. Le dimanche est le jour du Seigneur. On le lui doit tout entier. » Les premières lignes du livre sont passées à la postérité.
Ce qui compte pour Duby (et pour nous), ce n’est pas tant ce qui se passe sur le champ de bataille, bien que tout soit à peu près vrai dans le récit qu’en fait Guillaume le Breton, chapelain de Philippe Auguste, qui a assisté à la bataille et qui en fait le compte-rendu, mais la façon dont, au fil du temps, cette bataille va être interprétée.
Car il va s’agir, ni plus ni moins que l’un des événements fondateurs et constitutifs de la nation française et du sentiment d'appartenance à la France, au moins pour les habitants du bassin parisien.
« La légende de Bouvines achève ainsi de s'ériger en mythe de la nation et de la royauté réunies » nous dit Duby.
Car quelles sont les forces en présences :
Du côté des assaillants, les mercenaires stipendiés du roi d’Angleterre Jean Sans Terre, de l’empereur du Saint-Empire Othon IV de Brunswick, soutenus par deux des grands vassaux français, Renaud de Boulogne et Ferrand de Flandre...
Jean Sans Terre avait en effet décidé en 1214 d’annexer purement et simplement le royaume de France à la couronne britannique.
Du côté des résistants, le Roi Philippe II de France (surnommé « Auguste » par le moine Rigord, en hommage aux empereurs romains, parce qu’il était né au mois d’août, mais aussi et surtout parce qu’il avait accru sensiblement le royaume en 1185 par l’ajout au domaine royal des seigneuries d’Artois, du Valois, d’Amiens et une bonne partie du Vermandois), avec ses chevaliers et surtout les milices populaires envoyées par les villes.
Ici, non pas des mercenaires stipendiés mais des soldats venus défendre le royaume de France. Une première.
Sur les 39 communes de l’état capétien à l’apoque, 17 vont envoyer des troupes. Dix-sept des trente-neuf communes de l'État capétien répondent à l'appel :Arras par exemple envoie 1 000 hommes, la région d'Abbeville 2 000 hommes et Paris envoie un corps de 2 000 hommes.
L’armée royale est donc un mélange de chevaliers (professionnels du combat) et de volontaires.
L'aile droite de l’armée, composée de chevaliers champenois et bourguignons, est commandée par le duc Eudes de Bourgogne et ses lieutenants : Gaucher III de Châtillon comte de Saint-Pol, le comte Guillaume 1er de Sancerre, le comte de Beaumont et Mathieu de Montmorency et le vicomte Adam II de Melun.
Cette aile droite est composée des hommes d'armes et des milices paroissiales de Bourgogne, de Champagne et de Picardie couvert par les sergents à cheval du Soissonnais.
La bataille centrale est menée par Philippe Auguste et ses principaux chevaliers - Guillaume des Barres, Barthélemy de Roye, Girard Scophe dit Girard la Truie9, Guillaume de Garlande, Enguerrand III de Coucy et Gautier de Nemours.
Ce centre se composait de l'infanterie des communes d'Île-de-France et de la Normandie, en avant du roi et de ses chevaliers.
L'aile gauche, est composée de chevaliers et d’hommes à pieds, emmenée par Robert de Dreux et le comte Guillaume de Ponthieu.
Cette aile gauche est composée de la gendarmerie bretonne, des milices de Dreux, du Perche, du Ponthieu et du Vimeux. Le pont de Bouvines, unique moyen de retraite à travers les marécages, est gardé par 150 sergents d'armes du roi qui forment la seule réserve des troupes française.
Le fait qu’Otton ait engagé la bataille un dimanche (le jour du Seigneur) était de très mauvais augure pour les agresseurs.
Après un début difficile la bataille est finalement assez facilement gagnée par Philippe Auguste, ses chevaliers et les miliciens des communes françaises. Les pertes françaises furent minimes par rapport aux pertes infligées à l’ennemi.
L’empereur Otton IV s'enfuit piteusement (sous déguisement) ce qui lui coûtera sa couronne.
Le vassal traître Ferrand de Flandre passera les 18 années suivantes en prison au château du Louvre.
Quant au roi d’Angleterre, Jean sans Terre, dépossédé de la Normandie, du Maine, de l'Anjou, de la Touraine et de la Bretagne depuis 1206, il va être contraint de cesser les hostilités contre la France, et regagne l'Angleterre. Pour sauver sa couronne, il est contraint d'accorder à ses barons la Grande Charte (Magna Carta - 1215).
A l’inverse le pouvoir du Roi Philippe Auguste est considérablement renforcé face à ses vassaux.
Le Roi, aidé par Dieu qui fut – selon les contemporains l’un des principaux artisans de la victoire – soutenu par ses preux chevaliers et avec le concours du peuple en arme pour défendre la France et son idéal contre les invasions extérieures, voilà bien l’archétype qui perdura jusqu’à la Révolution.
Et même pendant la Révolution. C’est bien à Bouvines que pensaient Dumouriez et Kellerman lors de la bataille de Valmy le 20 septembre 1792.
La réunion des histoires… Le Royaume incarné plus tard dans la Nation, l’union sacré des Chevaliers et du peuple contre les mercenaires et les forces de l’argent. Ainsi naissent les royaumes, les pays, les empires, les nations.
Ainsi très certainement est née la France. Cette entité mystérieuse et pourtant si réelle.
Deux longs règnes vont alors se succéder. Celui de Philippe Auguste (près de 43 ans entre 1180 et 1223) puis celui de Saint-Louis (près de 44 ans entre 1226 et 1270), avec entre les deux le bref règne de 3 ans de Louis VIII (1223-1226).
Saint Louis consolidera l’œuvre de son grand-père en signant notamment le traité de Paris le 28 mai 1258 (ratifié le 4 décembre 1259).
Ce traité met fin aux batailles successives que les historiens appellent parfois la « Première Guerre de Cent Ans » ; ce conflit entre la France et l'Angleterre avait, en effet, débuté plus d'un siècle auparavant, en 1152, avec le mariage de la reine de France Aliénor d'Aquitaine et du futur roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt.
En signant le traité, le roi d'Angleterre s'engage, pour ces possessions, à rendre au roi de France l'hommage féodal dû au suzerain et devient ainsi son vassal en tant que duc d'Aquitaine. Et, par ailleurs, le roi de France conserve la Normandie et les pays de Loire, c'est-à-dire la Touraine, l'Anjou, le Poitou et le Maine, qui avaient été confisquées par son aïeul Philippe Auguste au père de Henri III, le roi Jean sans Terre.
Par ce traité équitable, composé de concessions réciproques et appuyé par les victoires des armées françaises à Saintes et Taillebourg, le roi de France apparaît comme le monarque le plus puissant d'Occident.
Sans Bouvines, rien de tout cela n’eut été possible.
C’est pourquoi, selon Jean Favier (dans son Dictionnaire de la France médiévale), Bouvines est « l'une des batailles décisives et symboliques de l'histoire de France » et pour Philippe Contamine (dans son Histoire militaire de la France), « la bataille de Bouvines eut à la fois d'importantes conséquences et un grand retentissement ».
Souvenons-nous en ce dimanche de vacances, si loin du temps jadis, de l’auguste Philippe II de France, de ses preux chevaliers et de ses miliciens volontaires venus défendre leur territoire.
Sans eux – non plus – nous ne serions peut-être pas français comme nous le sommes aujourd’hui…
Jean-Laurent Turbet
° A lire :
° Féodalité : de Georges Duby, collection Quarto chez Gallimard (33€) qui regroupe 11 livres majeurs de Georges Duby (« Guerriers et paysans », « L’an Mil », « Les trois Ordres ou l’imaginaire du Féodalisme », « Le Dimanche de Bouvines », « Guillaume le Maréchal », « Le Chevalier, la Femme et le Prêtre », « Les jeunes dans la société féodale », « Que sait-on de l’amour en France au XIIème siècle ? », « A propos de l’amour que l’on dit courtois », « Le Roman de la Rose », « Des sociétés médiévales ».
° Les livres de Georges Duby, sur le site Amazon.fr.
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Jean-Laurent Turbet
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