Alain Graesel, ancien Grand-Maître de la Grande Loge de France ( 2006-2009) parle peu. (On le voit ici en photo à côté de Serge Moati).
La dernière fois c’était sur mon bloc-notes pour exprimer son point de vue après la sortie du livre « Les Promesses de l’Aube » d’Alain Bauer, Michel Barat et Roger Dachez.
J’ai rencontré Alain Graesel à l’occasion de la sortie de la 3ème édition de son « Que-sais-je ? » consacrée à la Grande Loge de France (édition des Presses Universitaires de France) qui sera dans toutes les bonnes librairies le 11 juin prochain.
A cette occasion il a souhaité réagir à la profusion d’articles et de commentaires sur les blogs maçonniques à propos du prochain Convent de la Grande Loge de France qui aura lieu les 14 et 15 juin 2014.
A tout seigneur tout honneur c’est bien évidemment aux très nombreux articles parus récemment sur le blog « Sous la Voûte étoilée » de notre frère Gérard Contremoulin du Grand Orient de France qu’il répond essentiellement lors de cette interview.
D’ailleurs j’ai demandé à Alain Graesel s’il voulait donner un titre à cette interview et il m’a dit :
« L'ADN de Contremoulin : cogner sur la Grande Loge de France … mais fraternellement bien sûr et parce qu'il l'aime….
L'amour vache en quelque sorte… »
Voici en exclusivité pour ce bloc-notes l’interview d’Alain Graesel :
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Bonjour Alain Graesel. Merci de répondre à mes questions à l’occasion de la 3ème édition de votre ouvrage « La Grande Loge de France », aux PUF, collection « Que sais-je ? » qui paraîtra le 11 juin prochain. Ce petit bouquin marche apparemment bien…
Réponse (Alain Graesel) :
Oui, pas mal, il intéresse à la fois des maçons et des non maçons car il est évidemment écrit pour tous, sans révéler la teneur des rituels.
Il comporte trois parties : histoire, fonctionnement institutionnel et valeurs.
J'ai eu pas mal de mails de frères, de sœurs et de profanes qui souhaitaient parfois des informations complémentaires.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Que pensez-vous de la situation actuelle de la maçonnerie en France telle qu'elle apparait dans la presse ou les blogs ?
Réponse (Alain Graesel) :
J'ai été très intéressé par un article – ou plutôt un pamphlet - de Contremoulin sur son blog et concernant « la GLDF 1728 – 1894 ».
À sa lecture j'ai personnellement beaucoup appris sur la Grande Loge de France n'ayant pas forcément autant de culture que lui sur le sujet….
Car l'homme est connu et reconnu.
Ancien conseiller de l'ordre du Grand Orient de France, candidat malheureux à la candidature de Grand Maître, il a eu de hautes ambitions et voulait donc apparemment accéder à cet extraordinaire pouvoir qu'on prête - à tort - aux Grands Maîtres.
Cet échec en a-t-il fait comme cela arrive – et ainsi que me l'a suggéré un de ses collègues du Conseil de l'Ordre - un frustré désireux de conquérir dans la blogosphère une fortune qui ne lui a pas souri dans les urnes?
Je ne le crois pas bien sûr et sans le connaitre il me semble manifestement trop vertueux pour ce genre de rancœur.
Je pense que même s'il cogne comme un sourd sur la Grande Loge de France et son Grand Maître, il est en fait un modèle de vertu pour tous les maçons du monde, un modèle de pondération, de modération, de mesure, de retenue et de finesse extrêmes, l'ensemble de ces qualités étant sous-tendues par une exceptionnelle capacité d'analyse et de synthèse.
En bref un exemple pour tous les frères de la Grande Loge de France.
Je me permets de le leur recommander….
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Vous n'exagérez pas un peu ?
C'est de l'humour ou de l'ironie ?
Réponse (Alain Graesel) :
Les deux si vous voulez. Mais exagérer, c'est une blague ? Regardez ce qu'il écrit.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Que lui reprochez-vous ?
Réponse (Alain Graesel) :
Son parcours maçonnique m'indiffère. J'ajoute que le fait qu'il me présente de manière récurrente comme le méchant qui a mis par terre la « maçonnerie française » me fait trop d'honneur.
J'ai fait effectivement sortir, en 2006, la Grande Loge de France de cette association de fait dont le nom avait été déposé par le Grand Orient de France à l'INPI sans prévenir personne, ce qui est dans doute normal pour … le GODF. Mais pour moi ça ne l'était pas et pour la Grande Loge de France non plus…
D'ailleurs je n'ai pas mis la maçonnerie « dite française » à terre et toutes les obédiences qui en faisaient partie sauf erreur existent toujours. Mais je souligne que la maçonnerie « dite française » n'a jamais existé comme une entité homogène ou ordonnée. Il y a bien en revanche une « maçonnerie en France », composée d'obédiences diverses et pour certaines très différentes les unes des autres et ayant une part de valeurs communes, mais qui ne suffisent pas pour faire une seule « maçonnerie française ».
J'ajoute que le Grande Orient de France, obsédé depuis 1773 par sa volonté hégémonique – connue et reconnue par tous, y compris par certains de ses représentants – s'était évidemment en 2003 arrogé le droit de parler comme représentant de tous les autres.
C'est curieux il n'a jamais communiqué sur ce point…
Nous ne voulions plus de cette manipulation, bien entendu présentée comme très désintéressée par les …. Intéressés !
Alors fin de la récré.
Chaque obédience est libre de déterminer sa politique.
Sauf à considérer que nous serions dans un pays totalitaire… avec un parti unique peut être, ce qui, malgré peut être les fantasmes de certains, n'est pas le cas à ce jour.
Ça n'empêche aucune obédience d'entretenir des relations amicales avec les autres, enfin… à condition que chacun respecte chacun….
Quant à la manière érudite qui est la sienne de donner des leçons d'histoire - en plus de leçons de vertu maçonnique - ça fait beaucoup à gérer, même pour un homme aussi savant et hyperactif que lui.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Oui mais Gérard Contremoulin, lorsqu’il s’exprime sur son blog le fait à titre personnel, il ne représente pas le Grand Orient de France.
Réponse (Alain Graesel) :
Vous plaisantez ? Je n'ai jamais vu un membre du GODF se désolidariser de ces brillantissimes traits d'esprit.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Vous avez des exemples concernant son texte sur la GLDF ?
Réponse (Alain Graesel) :
Louis Trébuchet a déjà répondu à certaines choses et son travail est remarquable (voir « Histoire maçonnique : Louis Trébuchet répond à Gérard Contremoulin », sur ce bloc-notes).
Je ne suis pas agrégé d'histoire mais je connais comme tout le monde les principes de Fustel de Coulanges et je sais lire aussi les historiens. Il faut des faits et des preuves.
Je souligne d'ailleurs que si tous ceux qui se piquent d'être historiens de la maçonnerie étaient agrégés d'histoire ça se saurait…
Soit. Alors parlons de faits et de preuves.
Je tire ces exemples de mon petit bouquin paru déjà en 2008.
Il ne s'agit donc pas de déclarations inspirées par l'hystérisation actuelle des blogs sur la question.
Mais je fais référence aussi à Alain Bernheim, historien mondialement connu et incontesté, qui est d'ailleurs invité à intervenir dans un colloque organisé par la Grande Loge de France pour les frères Maîtres qui se réjouissent de l'accueillir.
Je souligne que mon propos ne peut évidemment pas prétendre à l'érudition de ces innombrables billets d'humeur de blogueurs soigneusement planqués derrière leur anonymat et qui eux aussi donnent en permanence à la Grande Loge de France ou à ses membres des leçons d'histoire et de vertu… et à mon avis ça ne va pas s'arrêter.
La rédaction de cet ouvrage m'avait été proposée déjà en 2007 par Roger Dachez, qui en avait donc eu la connaissance intégrale avant diffusion.
Nous nous connaissons bien et nous nous apprécions – même si nous ne sommes pas en accord sur tout – et si j'avais écrit des sottises historiques il m'en aurait sans aucun doute parlé…c'était l'exigence de notre relation.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
En reprenant les affirmations de Contremoulin dans son texte « Quand la GLDF 2 (1894) part à la recherche de la GLDF 1 (1728) » vous dites quoi ?
Sa 1ère affirmation est la suivante.
Il dit que le « nouveau logo » (je pensais qu'il s'agissait d'un sceau…) de la Grande Loge de France évoque la période : 1728 – 1894 pour laisser entendre que la Grande Loge de France de 2014 voudrait se présenter comme identique à l'obédience qui portait le nom de « Grande Loge de France » en 1728.
Réponse (Alain Graesel) :
Il a sans doute mal compris ou plutôt, c'est nous qui nous sommes mal expliqués...comme d'habitude.
J'ai souligné moi-même que la notion d'obédience aujourd'hui n'est pas la même qu'en 1728 et j'ai précisé que les structures que nous connaissons au 21ème siècle n'ont rien à voir avec celles du passé, ne serait que par leur fonctionnement généralement inspiré par le statut d'association type 1901.
La date de 1728 évoque en fait l'année de fondation probable de l'ordre maçonnique en France en raison de la présence en France du duc Philippe de Wharton qui avait été GM de la GL de Londres et Westminster, tout le monde le sait.
Comme en 2003, lors de la création de la « maçonnerie dite française », la date retenue de 1728 l'a précisément été pour … la maçonnerie « dite française » et pas exclusivement pour le GODF - sauf si j'ai mal compris, ce qui est possible, étant maçon de la GLDF.
C'est ainsi en tout cas que les choses étaient présentées, y compris au GODF.
La Grande Loge de FRance mentionne donc cette date pour rappeler qu'elle peut, au même titre que le Grand Orient de France revendiquer une part de l'héritage de la Grande Loge de France version 1.
D'ailleurs puisque Contremoulin parle de « logo » et de date de naissance, je signale que le Grand Orient de France avait en 1973 fêté son bicentenaire (voir le timbre et oblitération). Ceci laisse supposer que jusqu'en 1973 il se disait né en 1773 et qu'en 2003 il a découvert qu'il était né en 1728… Et à partir de 2003 ce sont aussi deux dates qui figurent sur son sceau : 5773 et … 5728, voire une seule … 5728. Bizarre, bizarre, vous avez dit bizarre….
C'est sans doute aussi la raison pour laquelle, dans certains de ses documents officiels, figure depuis 2003 la mention suivante « Grand Orient de France, obédience fondée en 1728, alors appelé Grande Loge de France ». C'est rigolo non ?
D'ailleurs comme le Grand Orient de France considère qu'il est à l'origine de toute la maçonnerie en France, il faudra informer la GLNF que le « GODF 1728 alors appelé GLDF » est alors à la fois son papa et sa maman.
Car en effet la GLNF, est née en 1948 de la « Grande Loge Nationale Indépendante et Régulière pour la France et les Colonies Françaises – GLNIR » qui a été fondée le 5 décembre 1913 par Édouard de RIBAUCOURT et des Frères du Grand Orient de France qui souhaitaient retourner à une tradition maçonnique qui leur semblait être perdue au GODF.
Vous voyez le bazar. « Oh my God this is absolutely shocking » - si je puis me permettre bien sûr –.
Alors que ça plaise ou non à notre érudit, avec la date de 1728, la Grande Loge de France rappelle à juste raison que lors de sa refondation en 1894 – oui refondée car elle avait bien été « défondée » si l'on peut dire en 1799 - elle s'inscrit dans une histoire qui ne date pas de la veille mais dans une histoire reliée à celle de la première Grande Loge de France.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
C'est sa 2e affirmation : « Juste un petit "oubli" : 1773, c'est la date à laquelle la première obédience portant le nom de Grande Loge de France, parfait homonyme, prend le nom de ... "Grand Orient de France" ».
Réponse (Alain Graesel) :
Ça ne teint pas non plus.
Louis Trébuchet a répondu.
Mais en effet, tout le monde le sait, qu'en 1773 tous les maçons de la GL version 1 ne rejoignent pas le GODF et continuent de travailler dans une Grande Loge de France « maintenue ».
S'il sous-tend que la Grande Loge de Frabce disparait cette année-là il y a erreur.
C'est pourquoi je l'inviterais volontiers à lire les bons auteurs qu'il recommande et notamment Alain Bernheim que j'ai le plaisir de connaitre un peu et pour qui j'ai une grande admiration.
Je le cite ici.
Et comme Gérard Contremoulin lui le connait sans doute très bien il connait forcément la référence du texte ci-dessous.
« 1773 Le Grand Orient de France (GODF)
[….]
En désaccord avec ce changement (Note de AG : celui concernant les élections des Vénérables) de nombreux Maîtres parisiens firent sécession et poursuivirent leur activité au nom et en vertu des Règlements de l’ancienne Grande Loge de France (Note de AG : celle de 1728). »
Et je me place sous l'autorité de cet historien incontesté, et je confirme ce que j'ai écrit : en 1773 nombre de loges de la GLDF version 1 ont refusé de rentrer dans le giron du GODF.
Car sans cela pourquoi le GODF - qui se prétend seule obédience en France à partir de 1773 – s'est-il acharné dès sa naissance à absorber cette obédience « maintenue » (GL de Clermont) alors que selon lui – et ses historiens officiels - elle n'existait déjà plus.
Un mystère maçonnique de plus…
Le GODF y parviendra en 1799 mais il n'a pas réussi à faire entrer dans ses loges tous les maçons engagés à l'époque dans l'écossisme. Et ça, ça le tracasse « grave » comme on dit dans les cours de récré.
Les chiffres fournis par Louis Trébuchet sont éloquents sur le sujet, merci à lui.
Encore faut lire ce qu'il a écrit, même si lui n'est « que » membre de la Grande Loge de France.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Sa 3e affirmation
« Anachronisme.
Sur l'actuel « logo » figure un anachronisme assez troublant. « 1728 » et "Francs-maçons du Rite Écossais Ancien et Accepté"!
Comment expliquer que le rite qui est arrivé en France en 1804 par les bons soins du Baron De Grasse-Tilly (Note de AG : il était comte) et qui n'était à cette époque qu'un système de Hauts-Grades, puisse avoir été pratiqué (qui plus est, en loges bleues) dès 1728 ? »
Réponse (Alain Graesel) :
Si sur le logo (= qui est un sceau pour les maçons up to date) de la Grande Loge de France figure en effet « Francs -maçons du Rite Écossais Ancien et Accepté » ce n'est pas parce que la GLDF prétend que ce rite a été créé en 1728 ce qui est une ineptie totale.
Le comprendre ainsi est d'ailleurs également une ineptie.
C'est écrit ainsi parce que, depuis son origine, ses loges (890 à ce jour) travaillent toutes au REAA (à six exceptions historiques près). Je signale qu'au Grand Orient de France le Rite Français étant ultra majoritaire (environ 1000 loges – Ludovic Marcos dit que 85% des loges du GODF travaillent au Rite Français) elles sont environ 120 à pratiquer le Rite Ecossais Ancien et Accepté.
Alors oui, la Grande Loge de France est l'obédience en France qui a repris l'héritage de cet écossisme qui apparait dès le milieu du 18e siècle en France, dans la Grande Loge de France version 1 et dans les mères loges écossaises qui vont jouer dans la maturation de ce rite un rôle majeur.
Et c'est du reste bien cette obédience de 1728 qui donne en 1761 patente à Etienne Morin pour aller délivrer les 25 grades de perfection avant son départ pour les Antilles.
Le GODF n'était pas né me semble t-il.
Et sauf à ne pas connaitre l'histoire, c'est bien ce système en 25 grades qui préfigure le REAA en 33 grades qui revient en 1804 en France après la fondation du premier Suprême Conseil du REAA en 1801, à Charleston.
Le problème du GODF c'est que tout ce système s'est développé hors sa sphère d'influence et en dépit de l'annexion de 1799 – super démocratique comme chacun sait – et du Concordat extorqué aux Écossais par le GODF en décembre 1804, d'ailleurs rompu par ce dernier et pour des raisons tactiques environ six mois après.
J'ajoute qu'en 1804, en France « Le SCDF autorisa et aida la création d’une Grande Loge Écossaise constituée le 17 octobre 1804. » (Citation d’A. Bernheim, même référence).
Il y avait donc bien aussi trois premiers degrés.
Et même si cette « Grande Loge Écossaise » eu une existence plus que brève, j'ai un peu l'impression que les Frères du SCDF ne sautaient sans doute pas directement dans le 4e degré. Ils devaient connaitre à mon avis un peu les trois premiers et le Rituel de 1804, le « Guide des Maçons écossais » n'y était pas forcément pour rien.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Une dernière affirmation.
Gérard Contremoulin écrit :
« Et pour être encore plus précis, le nom de "Grande Loge de France" va disparaître en 1799, lors de la fusion de l'obédience homonyme avec le GODF. Il sera réutilisé par l'obédience que nous connaissons aujourd'hui près d'un siècle plus tard en 1894, [….] ».
Réponse (Alain Graesel) :
Je perçois dans sa formule la gourmandise du vrai gastronome…
Ce point est parfaitement exact.
Mais si la Grande Loge de France 1728 « maintenue » disparait effectivement en 1799 en tant qu'institution, certains des maçons qui en faisaient partie reviennent dès 1804 sur le devant de la scène.
Et c'est après le désastre impérial et le bazar qui a suivi juin 1815, où après Waterloo, nombre de dignitaires impériaux oublièrent qu'ils avaient été maçons, les deux restaurations ne firent pas non plus vraiment de cadeaux à la maçonnerie, que les maçons Écossais ont créé en 1821 la Grande Loge Centrale qui, on s'en doute un peu, a repris l'héritage laissé en déshérence par la maçonnerie « officielle » (comme dans « historien officiel »).
Alors la GLDF créée en 1894 ? Oui, c'est exact !
Mais je dirai plutôt « refondée » car en 1894 elle ne vient pas de nulle part et elle a une histoire derrière elle, mais sous un autre nom en effet.
On peut souligner, si ce n'était pas le cas, que, arriver en 120 ans à bâtir une obédience – qui a traversé deux guerres mondiales - de 890 loges et de 33000 frères c'est assez costaud.
C'est au moins aussi costaud que de prétendre bâtir en trois siècles une obédience de 1200 loges (dont environ 120 travaillent au REAA) et environ 50000 frères.
On pourrait dire alors « bravo les frères de la Grande Loge de France ». Oui mais ça ne s'est pas passé comme ça.
Car la GLDF ne fut pas fondée ex nihilo. En réalité, quand elle arrive en 1894 elle a derrière elle presque 90 années de maçonnerie écossaise et un héritage de l'écossisme du 18e siècle, qui a été préservé au sein des loges symboliques du SCDF.
Et les Écossais de 1804, qui sont au même titre que ceux du GODF, héritiers des valeurs de la GLDF 1728 - même après sa disparition institutionnelle - ont transmis à la Grande Loge de France 1894, au travers des structures des loges symboliques du Suprême Conseil de France, des principes qui ont marqué son histoire, laquelle évidemment ne commence pas seulement en 1894.
Si les choses se sont déroulées ainsi, c'est que la Grande Loge de France a sans doute, dans la démarche qu'elle propose au Rite Ecossais Ancien et Accepté, des choses à dire qui intéressent les Frères et qu'ils ne trouvent pas forcément ailleurs.
Et même si elle ne prétend pas être un « corps intermédiaire » de la République, ce qui ne signifie pas que les maçons de la Grande Loge de France sont de méchants réactionnaires anti républicains – vu l'ambiance je suis obligé de le préciser – sa devise, pour ceux qui ne le sauraient pas, est « Liberté Égalité Fraternité », valeurs sur lesquelles la Grande Loge de France n'a de leçons à recevoir de personne.
Ça ne disqualifie évidemment en aucun cas les autres rites maçonniques, tous légitimes par ailleurs et qui vivent apparemment leur vie sans qu'on leur casse les pieds car heureusement pour eux : ils ne sont pas logés au sein de la Grande Loge de France…
Résultat : la Grande Loge de France, absorbée en 1799 par décision politique et « refondée » en 1894, est aujourd'hui en Europe la première obédience à pratiquer le Rite Ecossais Ancien et Accepté.
Je parle du nombre évidemment, pas de la qualité des frères.
Car elle est forcément inférieure à celle de l'obédience que l'on peut considérer comme le « phare et timonier de la pensée maçonnique universelle » - pour évoquer une référence que les humanistes de tous les pays connaissent bien - …
Question (Jean-Laurent Turbet) :
De « qualité inférieure » … ???
Réponse (Alain Graesel) :
Mais non je plaisante…
Je souligne pour finir deux autres bizarreries.
- Bizarrerie 1 :
Ceux qui expliquent sans arrêt – parfois avec injures à l'appui - que le Grand Orient de France est l'alpha et l'oméga de la maçonnerie en France, considérant que cette institution seule a recueilli l'héritage de principes fondateurs et des valeurs de la « vraie » maçonnerie, pourraient – peut-être - s'interroger sur le point suivant.
Lorsque l'État français, de sinistre mémoire, est proclamé le 10 juillet 1940 par un militaire sans doute courageux en 1916 mais devenu politicien d'extrême droite, il succède institutionnellement à la République française qui ne reviendra qu'en août 1944 par ordonnance du Gouvernement provisoire.
D'où ma question.
Qui prétendrait que la France de 1940 à 1944 se résume à ce régime de dirigeants égrotants et cacochymes et de criminels antisémites et anti-maçons qui donneront leurs cadres à la LVF et à la milice ?
Qui prétendrait que la France de 40 à 44 est un pays dans lequel l'idée de République a été oubliée parce qu'elle a été – légalement mais illégitimement - abolie ?
Qui prétendrait pour finir que ceux qui ont immédiatement refusé de suivre ce régime – et il y en eux, gloire et respect pour eux - étaient en 1945 non fondés à en promouvoir les valeurs.
Personne sauf erreur.
Toutes choses égales par ailleurs, je pense que ce n'est pas parce que la Grande Loge de France version 1 a été abolie par un coup de force politique en 1799, que les principes et valeurs portés par cette première structure sont réservés à l'institution qui prétend, à partir de ce coup de force, les représenter.
Des maçons de la Grande Loge version 1 et qui refusent l'assimilation par le Grande Orient de France restent porteurs de ces principes et valeurs, que cela plaise ou non.
Ils vont rassembler rapidement autour d'eux les frères qui veulent continuer de travailler selon les rituels de l'Écossisme portés au cours du 18e siècle par différents rites initiatiques philosophiques qui ont constitués la base doctrinale du Rite Ecossais Ancien et Accepté.
Il ne serait pas totalement absurde, de ce fait, de considérer que ceux qui refusent l'absorption des loges de Clermont au sein du Grand Orient de France sont, tout autant que les gagnants de la bataille de 1799, porteurs des valeurs de la première maçonnerie en France, celle de la Grande Loge de France de 1728.
Je ne fais aucune confusion des genres, la comparaison avec l'État français s'arrête là bien entendu et les situations historiques n'ont rien à voir, comparaison n'est pas raison, etc.. je le précise pour éviter un procès, je ne voudrais pas qu'un Fouquier-Tinville me fasse exécuter…
Mais en résumé, ces maçons qui refusent le 22 juin 1799 la préfiguration – sous forme maçonnique – du 18 brumaire politique de la même année sont aussi honorables que ceux qui restent alors au sein du Grand Orient de France, qui deviendra un simple outil politique au service de Bonaparte d'abord et de Napoléon ensuite.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Et la bizarrerie 2 ?
Réponse (Alain Graesel) :
Le Grand Orient de France, en toute occasion, se présente comme le parangon de la défense des libertés, civiles, citoyennes, etc.. qui font le bonheur de vivre dans nos pays, même si tout n'y est pas exemplaire.
Je m'étonne de ce fait qu'il ait fait tant de tentatives – une bonne douzaine en 200 ans - pour absorber la maçonnerie écossaise de la Grande Loge de France, tentatives qui caractérisent de manière récurrente son obsession hégémonique.
Cela voudrait il signifier que le GODF aime la liberté des autres à la seule condition qu'ils soient « alignés » comme dans certains régimes somme toute assez peu « libéraux » - sur le plan politique bien entendu.
Non évidemment car c'est une obédience libérale et adogmatique.
Le contraire ce sont des obédiences totalitaires et dogmatiques?
J'imagine que la Grande Loge de France en fait peut être partie ?
Moi je me réjouis de la liberté de la Grande Loge de France. Je me réjouis aussi de celle du Grand Orient de France. Mais je l'aime encore plus quand il se contente de gérer ses loges sans s'occuper des nôtres.
Et je me réjouis que Michel Dumesnil de Gramont – cité par Contremoulin – Grand Maître de la Grande Loge de France ait refusé de fusionner en 1945 – c'est-à-dire en réalité de se laisser absorber – avec le Grand Orient de France au sortir de la guerre.
Cela a permis à la Grande Loge de France de poursuivre son chemin d'obédience autonome et souveraine, en mesure de se donner les objectifs qu'elle souhaite et les moyens pour y parvenir, malgré les secousses de 1964.
Et je crois d'ailleurs qu'une obédience dans laquelle le Grand Maître est élu par environ 700 députés présents au Convent n'a de leçons de démocratie à recevoir de personne, pas même des représentants d'une obédience dans laquelle le Grand maître est élu par un comité de 35 membres du Conseil de l'ordre.
Question (Jean-Laurent Turbet) :
Gérard Contremoulin ne fait souvent, dans ses derniers articles, que publier des textes de frères de la Grande Loge de France qui se manifestent auprès de lui, parfois par des lettres ou des commentaires ou des analyses. de
Réponse (Alain Graesel) :
Si des Frères de la Grande Loge de France veulent absolument paraitre sur son blog en lui envoyant des textes, libelles et pamphlets de toute nature qui servent à invectiver le Grand Maître Marc Henry qui en prend plein le « sautoir à franges » il est difficile de les en empêcher lorsque le coup est parti, même si cette pratique me semble étrange.
Je présume qu'ils savent ce qu'ils font et qu'ils savent à qui ils envoient leurs textes.
Ce ne sont pas à des « apprentis » de la dernière Tenue, si je puis dire… car leurs pratiques se rapprochent un peu de pratiques trotsko-lambertistes, façon contemporaine, avec quelques nuances et surtout la capacité à diffuser au maximum en deux secondes ce qui se faisait dans les années 1970 à coup de duplicateur à stencil Gestetner cyclostyle.
Aujourd'hui on s'infiltre dans la vie d'une obédience pour son bien évidemment, mais officiellement, de visu, ce qui permet en plus de se présenter comme un modèle achevé de vertu maçonnique, avec « fraternité-amour-concorde » à tous les étages.
Que certains se laissent avoir par ce genre de manipulations me laisse perplexe, et même pantois.
Il y a dans ce registre le blog d'un autre – lui aussi membre éminent du Grand Orient de France, comme c'est curieux, je ne le connais pas plus que Contremoulin – et qui a récemment évoqué les décisions prises par le Grand Maître Marc Henry comme le « franchissement du mur du çon » (sic), formule qui lui aurait été soufflée par un Frère -anonyme bien sûr - membre de la Grande Loge de France. Ah le courage des anonymes … une seule thèse de doctorat n'y suffirait pas ….
Marc Henry m'a dit qu'il refusait de répondre car ce serait se mettre trop bas. Il a raison et il est sage.
Moi je ne suis pas sage malgré trente ans de maison. Il me faudrait au moins encore trente ans pour le devenir – et sans certitude – mais à mon âge avancé ça risque de ne pas le faire. Mais je suis moins que lui tenu à la réserve.
D'ailleurs arroseur arrosé.
L'exquise sensibilité de Contremoulin lui-même avait été perturbée, en avril 2013 je crois, que le blog de F. Koch se mêle des élections au GODF qui devait élire son patron en aout 2013.
Contremoulin se lamentait vertueusement suite à un post sur le blog de F. Koch.
Je l'ai sous les yeux et vous le livre texto :
Contremoulin écrit:
« L'élection à la Grande-Maîtrise (NDAG du GODF) en pleine Lumière (NDAG : Lumière = le blog de F. Koch, vous noterez la finesse…).
Cette élection se déroule le premier jour du Convent. Cette année, ce sera le jeudi 29 aout, à Nice. Dans 4 mois…
… Le journaliste, François Koch, toujours bien informé, nous annonce deux candidats, Alain Simon et Daniel Keller. Et il donne déjà des pronostics ….
… De sorte que cette élection, essentielle dans la vie de l'obédience, prend un tour public assez « net » quatre mois avant qu'elle n'ait lieu….
… Est-il utile, est-il nécessaire que l'élection d'un Grand-Maître se trouve ainsi exposée sur l'agora?
Une telle élection, interne, ne doit-elle pas le rester? ».
Quand on voit la manière dont il manipule le contexte actuel à la Grande Loge de France on a de quoi être affligé.
En fait l'ADN de Contremoulin c'est celui du Grand Orient de France : cogner sur la Grande Loge de France … mais fraternellement bien sûr et parce qu'il l'aime….
Il le dit d'ailleurs ainsi quelque part. Il aime la Grande Loge de France. J'espère que tout le monde l'a compris : c'est de l'amour mais façon vache. Il disperse, il ventile…
Alors j'hésite entre le pitoyable, le pathétique et le consternant.
Ou l'arrogance, le mépris et la morgue.
Les trois peut-être ? Ou même les six ?
Jean-Laurent Turbet : Merci Alain Graesel pour cette interview "punchy" et sans langue de bois...
° Pour aller plus loin :
° Le site d’Alain Graesel.
° La Grande Loge de France, d’Alain Graesel, 3ème édition, « Que-sais-je ? » (édition des Presses Universitaires de France), dans toutes les bonnes librairies le 11 juin 2014. A lire absolument !
° « Alain Graesel explique les relations entre le GODF et la Maçonnerie écossaise », sur ce site.
° Alain Graesel (GLDF) : « Je ne suis pas d’accord avec Roger Dachez », sur ce site.
° Visites, vous avez dit visites, sur ce site.
° Alain Graesel sur Youtube : http://www.youtube.com/channel/UCOsHaRh00heHBsbx1xPNHpg
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Le "Blog des Spiritualités", (http://www.jlturbet.net/) est un site d'information traitant des spiritualités, du symbolisme, de l'ésotérisme, de l'occultisme, de l'hermétisme, de l'Initiation, des religions, des mouvements spirituels, de la franc-maçonnerie etc., site d'information totalement libre et indépendant.
Je ne parle ni au nom d'une association, ni d'un parti, ni d'une loge, ni d'une obédience maçonnique.
Mes propos n'engagent que moi
et non pas l'une ou l'autre de ces associations.
Je ne suis en aucune façon habilité à écrire au nom d'une association, d'un parti, d'une loge, d'une obédience maçonnique. Tout ceci pour que cela soit bien clair, qu'il n'y ait aucune ambiguïté de quelque nature que ce soit.
Quelles que soient mes responsabilités - ou non - présentes ou futures dans une organisation, les propos tenus dans cet article comme dans tous les articles de ce Blog, sont exclusivement des opinions personnelles qui n'engagent que moi.
Je rappelle simplement que la liberté d’expression est en France un droit Constitutionnel, quelle que soit notre appartenance à une association de quelque nature que ce soit.
Dans son article 10, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi. »
Dans l'article 11, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose aussi que : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Ces deux articles ont valeur constitutionnelle car le préambule de la Constitution de la Ve République renvoie à la Déclaration de 1789.
La Constitution et les Lois de la République Française s'appliquent sur l'ensemble du territoire national et s'imposent à tout règlement associatif particulier qui restreindrait cette liberté fondamentale et Constitutionnelle de quelque façon que ce soit.
« Jurez-vous, de plus, d’obéir fidèlement aux chefs de notre Ordre, en ce qu’ils vous commanderont de conforme et non contraire à nos lois ? » (Extrait du Serment prêté par chaque franc-maçon lors de son initiation).
Jean-Laurent Turbet
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