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Le Blog des Spiritualités

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Gnose, Esotérisme, Franc-maçonnerie, Hermétisme, Illuminisme, Initiation, Kabbale, Martinisme, Occultisme, Religions, Rose-Croix, Spiritualités, Symbolisme, Théosophie, et toutes ces sortes de choses...


Temples maçonniques : Les maisons de maçons, par Edouard Launet

Publié par Jean-Laurent Turbet sur 7 Février 2007, 10:40am

Catégories : #Franc-Maçonnerie

Article vu sur le site de  Libération. Achetez Libération car il y a une belle iconographie. Les photos que j'ai mises ici sont prises sur les sites des diverses obédiences maçonniques.

Une longue nef garnie de dizaines de sièges, des piliers imposants, un grand autel en bois dressé sous une abside peinte d'une fresque où volette un ange, une ambiance solennelle : on se croirait dans une église. Mais des rideaux pourpres occultent les hautes fenêtres, un buste de Marianne est posé derrière l'«autel» là où l'on attendait un Christ en croix, et la devise «Liberté Egalité Fraternité» se déploie en lettres capitales au-dessus du «choeur».

Il y a des éléments plus étranges : ici un grand triangle, là une étoile. Au pied de l'autel, une pierre brute et une autre taillée en pyramide. Nous sommes dans le temple Arthur-Groussier, au siège du Grand Orient de France (GODF), rue Cadet, à Paris. «L'un des endroits les plus fermés de Paris», aime à dire cette obédience franc-maçonne. L'un des plus originaux aussi, au moins d'un point de vue architectural. Mais c'est difficile à deviner depuis l'extérieur : le quartier général du GODF se cache derrière une horreur en aluminium. S'il y a un mystère de la franc-maçonnerie, c'est bien celui-ci : comment des gens se réclamant de l'équerre, du compas et du Grand Architecte de l'Univers peuvent-ils s'abriter derrière des façades aussi moches ?

La Grande Loge de France, autre obédience installée rue Puteaux (XVIIe arrondissement de Paris), s'est retranchée derrière une façade relativement sobre, mais guère plus engageante.
 
Seul l'immeuble de la Grande Loge nationale française dans une impasse au fin fond du XVIIe arrondissement affiche une relative ambition architecturale, mais dans le genre immeuble de bureaux aux lignes vaguement chahutées
 
Chez les «frères», tout change lorsqu'on franchit le seuil. Se dévoile alors un patrimoine singulier et fort peu connu : les temples maçonniques, c'est-à-dire les salles de réunion des loges.
 
Ces lieux discrets commencent à s'entrouvrir aux profanes, accueillant même, pour certains, des visiteurs, lors de la «Nuit des musées» ou autres événements patrimoniaux
Il en existe en France plus d'un millier, de toutes sortes et de diverses époques, du XVIIIe siècle à nos jours. Ces salles intimes et sans fenêtres ont en commun, quelle que soit l'obédience, d'être des reproductions symboliques du temple de Salomon.
Grande référence architecturale des francs-maçons, cet édifice aurait, selon la Bible, été élevé à Jérusalem par le roi Salomon au Xe siècle avant J.-C., et détruit par Nabuchodonosor II en - 586.
 
 
Dimensionnée selon le nombre d'or.
 
En très bref : la salle est rectangulaire, a priori dimensionnée selon le nombre d'or. On entre par l'ouest («Occident») entre deux colonnes dont l'une est marquée d'un J (comme Jakin) et l'autre d'un B (comme Boaz). En face, l'«Orient» accueille une plateforme surélevée de trois marches où se tient le «plateau» (bureau) du vénérable maître, sous un «delta lumineux» (un oeil dans un triangle) flanqué d'une lune et d'un soleil. Le long des murs nord et sud, des rangées de fauteuils se font face, un peu comme au Parlement britannique.
Le plafond est souvent une voûte étoilée ; le sol, un damier. Au centre du temple, trois piliers délimitent un petit espace sur lequel, durant les «tenues» (réunions), est déroulé un tapis de loge.
Au plafond pend un fil à plomb. Une corde à noeuds court autour du temple. Et l'on passe sur 36 autres détails qui dépendent des rites pratiqués par les loges utilisant ces temples (les bustes de Marianne et les devises républicaines ne se trouvent que dans les temples du Grand Orient, obédience «adogmatique».
 
 
Tout cela respire l'ésotérisme.
Pour le profane, c'est sans doute là le premier charme de ce patrimoine : être un peu perdu. Son autre grande qualité est d'offrir d'infinies variations sur un même thème (le temple de Salomon), décliné selon le goût des époques. «Du temple égyptien ou assyrien à la tradition classique, de la cathédrale médiévale au modernisme, le temple offre un éventail de références exceptionnellement large. Chaque pays, chaque obédience, chacun des courants maçonniques contribue à créer un panorama architectural d'une fascinante richesse», écrit Maurice Culot.
Cet architecte belge est à l'origine du livre Architectures maçonniquesrécemment paru aux éditions AAM, dans lequel un groupe d'architectes et d'historiens de l'art (non maçons) recense et décrit les sites les plus intéressants de France, Grande-Bretagne, Belgique et Etats-Unis
Maurice Culot a rencontré le patrimoine maçonnique par hasard. Il y a quelques années, les Archives d'architecture moderne, association dont Culot est l'administrateur délégué, déménageaient pour rejoindre la rue de l'Ermitage, à Bruxelles. En face du nouveau siège, l'architecte découvre un bâtiment inoccupé qui s'avère être un ancien temple de l'obédience du Droit humain, jolie bâtisse de 1934, selon des plans de Fernand Bodson. L'association investit le bâtiment quelques mois plus tard et le transforme, dans le respect des dispositions d'origine, en musée de l'Architecture. Celui-ci accueille actuellement une exposition sur l'architecture maçonnique en Belgique (1). "La mémoire de leurs origines". 
Des recherches sont lancées tous azimuts.
En France, c'est Bernard Toulier qui s'y colle. Conservateur en chef du patrimoine, cet amateur d'architectures un peu marginales ­ Toulier dirige au CNRS un programme sur les architectures de la villégiature (stations balnéaires, de ski, thermales, etc.) ­ est à son tour fasciné par cette architecture protéiforme... et menacée.
«Dans leur grande majorité, les francs-maçons ont perdu la mémoire de leurs origines et, surtout, n'ont plus les clés de lecture pour analyser et apprécier à leur juste valeur les allégories et mythes mis en scène dans les temples», constate Bernard Toulier.
Rue Cadet, au Grand Orient de France, pas moins de 17 temples ­ chacun avec sa personnalité ­ se cachent derrière la coque en aluminium de la façade. C'est un vaste labyrinthe dont une partie, ruisselante de marbre triste, date des années cinquante, et l'autre du XIXe siècle.
Le plus majestueux est le grand temple Arthur-Groussier, décrit plus haut, avec son aménagement datant d'environ 1850. C'est le temple des cérémonies, celui où les hommes politiques viennent parler lors de «tenues blanches» (réunions ouvertes). Le petit temple Eugène Le Roy, en sous-sol, est le plus récent.
C'est un confortable cocon, très prisé des «frères» paraît-il, et décoré de manière très contemporaine : le plateau du «vénérable» est en brique, la pierre est présente partout ailleurs. Dans la partie récente de l'immeuble, le temple La Fayette est le plus spectaculaire : les murs sont bardés de faisceaux de licteurs et de glaives, l'Orient accueille une nuée de drapeaux (ceux de l'indépendance américaine). Banquettes bleues, ambiance feutrée.
Mais le clou du GODF, c'est le temple Johannis-Corneloup, décoré par un des grands noms du style Art nouveau, le peintre tchèque Alfons Mucha (1860-1939). Jolie mosaïque bleue et or à l'Orient, plafond original avec signes du zodiaque. L'immeuble du GO abrite aussi de singuliers «cabinets de réflexion» aux décors mortuaires, cagibis où le profane doit passer une demi-heure de mort symbolique le jour de son initiation.
Changement radical de décor au siège de la Grande Loge nationale française (GNLF), 12, rue Christine-de-Pisan : le plus grand bâtiment maçonnique du pays a été construit en 1993 par un architecte «frère», Julien Penven. Celui-ci a bourré l'édifice de références «maison», reproduisant par exemple dans les parties supérieures les trois marches qui mènent à l'Orient. L'ensemble abrite une vingtaine de temples très contemporains, de toutes tailles, aussi fonctionnels que des courts de squash. En revanche, le grand temple aménagé en sous-sol mérite la visite : sous une voûte portante à croisillons se déploie un large espace pouvant accueillir 500 «frères», avec une déclinaison très contemporaine des attributs de la maçonnerie : les colonnes de l'Occident sont recouvertes d'inox.
Environ 150 000 francs-maçons :
La franc-maçonnerie française manque de place, c'est l'une des rares à voir ses effectifs grimper : environ 150 000 membres aujourd'hui, toutes obédiences confondues.
 La GNLF, qui dit accueillir plus de 3 000 nouveaux «frères» chaque année, vient d'ouvrir de nouveaux temples à Cannes en réaménageant un village d'antiquaires. En décembre, c'est vers une usine de bonneterie de Rillieux-la-Pape (Rhône), adaptée à son nouvel usage, que les effectifs lyonnais ont déménagé
 
Le plus bel exemple de réaménagement est cependant à mettre à l'actif de la Grande Loge de France (GLDF), troisième obédience du pays, qui squatte à Paris, depuis 1910, un ancien couvent franciscain, 8, rue de Puteaux. L'ensemble abrite dix-sept temples. La chapelle, qui a été divisée en deux étages, accueille les deux plus grands lieux de «tenues». Au rez-de-chaussée, les murs du temple «Franklin-Roosevelt» sont décorés par les bannières des loges ; en haut, la «grande chapelle» a gardé les vitraux d'origine : singulière collision des spiritualités. La partie la plus originale reste toutefois la crypte de la chapelle, où a été aménagé un restaurant de 400 couverts.
De Nancy à Rochefort, la province regorge elle aussi de temples singuliers et discrets, dont le recensement reste à faire. Peu de ces lieux sont inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Beaucoup ont été détruits, notamment par les nazis, tandis que d'autres, désaffectés, sont négligés. Ce ne sont certes pas des lieux publics, mais faut-il pour autant laisser ce patrimoine étonnant se dissoudre ?
 
 «Une campagne de protection raisonnée, à l'instar de celle effectuée sur les synagogues et autres lieux de culte il y a quelques années, serait nécessaire, après un inventaire de ces architectures et de leur décor», estime Bernard Toulier.
 
Une fois n'est pas coutume, les Etats-Unis ont été plus soucieux de leur patrimoine. Outre-Atlantique, 187 édifices maçonniques ­ particulièrement spectaculaires dans leur démesure, il est vrai ­ sont déjà répertoriés par la liste des ressources naturelles du National Register, rapporte l'architecte William Pesson, auteur d'une étude sur l'architecture maçonnique américaine. Là-bas comme ici, souligne Pesson, il y a dans ces édifices «un quelque chose» de déroutant qui suffit à donner au patrimoine maçonnique cette saveur si particulière ­ pour initiés ?

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